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les appellations honorifiques qui, sous l’ancien régime, marquaient son rang et sa prééminence ; aujourd’hui, sous le régime moderne, pour un laïque, même pour un ministre d’État, elles sont hors d’usage : à partir de 1802, un article des lois organiques[1] les « interdit » aux évêques et archevêques : ils ne pourront « ajouter à leur nom que le titre de citoyen et de monsieur. » Mais, en pratique, sauf dans l’almanach officiel, aujourd’hui tout le monde appelle un prélat monseigneur, et, dans le clergé, parmi les fidèles, on lui écrit et on lui dit votre grandeur, sous la république comme sous la monarchie.

Aussi bien, dans ce sol provincial où les autres pouvoirs ont perdu leurs racines, non-seulement il a gardé toutes les siennes, mais il les a plongées plus avant, il les a étendues plus loin, il a grandi au-delà de toute mesure, et maintenant tout le territoire ecclésiastique lui appartient. Autrefois dans ce territoire, beaucoup de morceaux, et très larges, étaient des enclos à part, des réserves dont un mur immémorial lui fermait l’accès. Dans la très grande majorité des cas, ce n’est point lui qui conférait les bénéfices et emplois ; dans plus de la moitié des cas, ce n’est point lui qui nommait aux cures vacantes. A Besançon[2], sur 1,500 emplois et bénéfices, il en conterait moins de 100, et son chapitre métropolitain nommait à autant de cures que lui-même ; à Arras, il ne nommait qu’à 47 cures, et son chapitre à 66 ; à Saint-Omer, parmi les collateurs des cures, il ne venait qu’au troisième rang, après l’abbaye de Saint-Martin et après le chapitre de la cathédrale. A Troyes, il n’avait à sa disposition que 197 cures sur 372 ; à Boulogne, sur 180, il n’en avait que 80, et encore parce que le chapitre avait bien voulu lui en abandonner 16. Naturellement, c’est vers le collateur que se tournaient les yeux des aspirans ; or, parmi les places, les plus hautes et les plus lucratives, celles où il y avait le moins de peine à prendre et le plus de satisfactions à récolter, sinécures et dignités, bénéfices simples et grosses cures urbaines, prébendes et canonicats, la plupart des emplois, titres et revenus qui pouvaient tenter une ambition humaine, étaient aux mains, non de l’évêque, mais du roi, du pape, d’un abbé ou prieur, d’une abbesse, de telle université[3], de tel

  1. Article 12.
  2. La Révolution, I, p. 232. — L’abbé Sicard, les Dispensateurs des bénéfices ecclésiastiques avant 1789. (Correspondant du 10 septembre 1889, p. 887, 892, 893.) — Grosley, Mémoires pour servir à l’histoire de Troyes, II, p. 45, 35.
  3. L’abbé Élie Méric, le Clergé sous l’ancien régime, I, p. 26. (Dix universités conféraient des lettres de nomination à leurs gradués.) — L’abbé Sicard, les Dispensateurs, etc., p. 876. — 352 parlementaires de Paris avaient un induit, c’est-à-dire le droit de requérir des collateurs et patrons ecclésiastiques, soit pour eux-mêmes, soit pour un de leurs enfans, parens ou amis, le premier bénéfice vacant. Turgot donna son induit à son ami l’abbé Morellet, qui obtint en conséquence (juin 1788) le prieuré de Thimer, valant 16,000 livres de rentes, avec une jolie habitation. — Ibid., ibid., p. 887 : « La prévention du pape, les patrons ecclésiastiques ou laïques, les brevetaires, indultaires, gradués, l’usage si fréquent des résignations, permutations, pensions, ne laissaient alors au libre arbitre de l’évêque, aujourd’hui maître incontesté des charges de son diocèse, que très peu de situations à donner. » — Grosley, ibid., p. 35 : « Les dîmes ont suivi les collations : presque tous nos collateurs ecclésiastiques sont en même temps gros décimateurs. »