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patronage commun, plus insultant que l’abandon, cette égalité de traitement[1] qui met sur le même pied la chaire de vérité et les chaires de mensonge, le ministère de salut et les ministères de perdition. Rien de plus efficace pour aliéner un clergé catholique, pour lui faire considérer le pouvoir civil comme un étranger, comme un usurpateur ou même comme un ennemi, pour détacher l’Église gallicane de son centre français, pour la refouler vers son centre romain, pour la donner au pape.

Désormais, celui-ci est le centre unique, le seul chef survivant de l’Église, inséparable d’elle parce que naturellement il est sa tête et que naturellement elle est son corps ; d’autant plus que cette mutuelle attache vient d’être fortifiée par l’épreuve. Tête et corps ont été frappés ensemble, par les mêmes mains, et chacun des deux à cause de l’autre. Le pape a souffert comme l’Église, avec elle et pour elle : Pie VI, détrôné et déporté par le Directoire, est mort en prison à Valence ; Pie VII, détrôné et enlevé par Napoléon, a été enfermé, séquestré et violenté pendant quatre ans en France, et les cœurs généreux prennent parti pour l’opprimé contre ses oppresseurs. Bien mieux, sa dépossession ajoute à son prestige : on ne peut plus prétendre que l’intérêt territorial prévaut en lui sur l’intérêt catholique ; partant, à mesure que son pouvoir temporel diminue, son autorité spirituelle grandit, tellement qu’à la fin, après trois quarts de siècle, juste au moment où le premier tombera par terre, la seconde montera par-dessus les nues ; c’est que, par l’effacement de son caractère humain, son caractère surhumain se dégage ; plus le prince souverain disparaît, plus le souverain pontife apparaît. Dépouillé comme lui de son patrimoine héréditaire, et confiné comme lui dans son office sacerdotal, exposé aux mêmes dangers, menacé par les mêmes ennemis, le clergé se rallie autour de lui, ainsi qu’une armée autour de son général ; inférieurs et supérieurs, ils sont tous prêtres et ne sont plus que cela, avec une conscience de plus en plus claire de la solidarité qui les lie et subordonne les inférieurs aux supérieurs. De génération en génération ecclésiastique[2], on voit décroître le nombre

  1. Bercastel et Henrion, XIII, 105. (Circulaire du pape Pie VII, 25 février 1808.) On entend que tous les cultes soient libres et publiquement exercés ; mais nous avons rejeté cet article comme contraire aux canons et aux conciles, à la religion catholique. » — Ibid. (instruction de Pie VII aux évêques d’Italie sur le système français, 22 mai 1808). « Ce système d’indifférentisme, qui ne suppose aucune religion, est ce qu’il y a de plus injurieux et de plus opposé à la religion catholique, apostolique et romaine, laquelle, parce qu’elle est divine, est nécessairement seule et unique, et, par là même, ne peut faire alliance avec aucune autre. » — Cf. le Syllabus et l’Encyclique Quanta cura du 8 décembre 1864.
  2. Sauzay, Histoire de la persécution révolutionnaire dans le département du Doubs, X, 720 à 773. (État détaillé et nominatif de tout le personnel ecclésiastique du diocèse de Besançon, en 1801 et 1822, sous l’archevêque Lecoz, ancien assermenté.)— Pendant tout l’Empire et surtout à partir de 1806, ce clergé mixte va s’épurant. D’ailleurs, un assez grand nombre d’assermentés ne sont pas rentrés dans l’Église ; ils n’ont pas voulu se rétracter ; nombre d’entre eux sont entrés dans l’université nouvelle. Par exemple (Vie du cardinal de Bonnechose, par M. Besson, I, 24), au collège de Rouen, en 1815-1816, les principaux professeurs étaient un ancien capucin, un ancien oratorien, et trois prêtres assermentés. L’un d’eux, M. Nicolas Bignon, docteur ès lettres, professeur du grammaire générale en l’an IV à l’École centrale, puis professeur de rhétorique au lycée, membre de l’académie de Rouen, « vivait en philosophe, non en chrétien, encore moins en prêtre. » Naturellement, il est destitué en 1816 ; à partir de cette date, l’épuration s’accélère contre tous les ecclésiastiques suspects d’avoir pactisé avec la révolution, libéraux ou jansénistes.