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pratique, dans la théologie spéculative, dans la révélation du surnaturel, dans la définition des choses divines : pour mieux constater son autocratie, le pape, en 1854, décrète, à lui seul, un nouveau dogme, la conception immaculée de la Vierge, et il a soin de marquer que c’est à lui seul, sans le concours des évêques ; ils étaient là, mais ils n’ont ni délibéré, ni jugé[1]. — Ainsi s’édifient les pouvoirs durables, spirituels ou temporels, petit à petit, par la série ininterrompue et incontestée de leurs actes : de 1791 à 1870, tous les précédens ecclésiastiques, ajoutés l’un à l’autre, se sont consolidés l’un par l’autre et par leur masse ; incessamment leurs assises étagées ont monté et convergé pour porter plus haut le pape, tant qu’enfin, au sommet de l’édifice, le saint-siège est devenu la clé de voûte, et que l’omnipotence de fait s’est achevée par l’omnipotence de droit.

Cependant l’opinion catholique venait en aide à l’activité pontificale, et spontanément en France le clergé devenait ultramontain ; c’est qu’il n’avait plus de motifs pour être gallican. — Depuis la Révolution, le Concordat et les articles organiques, toutes les sources qui entretenaient en lui l’esprit national et particulariste ont tari : il a cessé d’être un corps distinct, propriétaire et favorisé ; ses membres ne sont plus ligués par la communauté d’un intérêt temporel, par le besoin de défendre leurs privilèges, par la faculté de se concerter, par le droit de tenir des assemblées périodiques ; ils ne sont plus, comme autrefois, rattachés au pouvoir civil par de grands avantages sociaux et légaux, par leur primauté d’honneur dans la société laïque, par leurs immunités en fait d’impôt, par la présence et l’influence de leurs évêques dans les États provinciaux, par l’origine nobiliaire et la magnifique dotation de presque tous les prélats, par l’assistance répressive que le bras séculier prêtait à l’Église contre les dissidens et les libres penseurs, par la législation et la pratique immémoriale, qui, érigeant le catholicisme en religion d’État, imposaient la foi catholique au prince, non-seulement en sa qualité d’homme privé et pour fixer sa croyance personnelle, mais encore en sa qualité de magistrat public, pour influer sur sa politique et collaborer à son gouvernement. Ce dernier article est capital, et, de son abrogation, le reste suit : à ce tournant de la route, le clergé français est jeté hors de la voie gallicane, et tous les pas qu’il va faire l’achemineront vers Rome.

  1. « Adstantibus, non judicantibus. » — Un des prélats réunis au Vatican le 20 novembre 1854 fit remarquer que, si le pape prononçait sur la définition de l’Immaculée Conception…, » ce jugement fournirait une démonstration pratique… de l’infaillibilité dont Jésus-Christ a investi son vicaire sur la terre. » (Émile Ollivier, l’Église et l’État au concile du Vatican, I, 313.)