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la gloire des hommes placés autour de lui, mais prenant leur gloire pour la sienne, leur servant de lien, de plusieurs hommes n’en faisant qu’un et étant parvenu, pour ainsi dire, à rendre à la Prusse le grand Frédéric ! » M. de Moltke a été un des premiers, parmi ces hommes réunis autour de Guillaume 1er, « l’organisateur de la victoire » préparée par la politique, — c’est encore le mot de M. Thiers, — organisateur rigide, ponctuel, laborieux et patient. Le vieux soldat qui s’éteint aujourd’hui, après avoir illustré son nom au service de la Prusse, avait commencé certes modestement et même dans des conditions ingrates.

Né d’une famille danoise, soumis à un régime d’éducation dur et morose, Helmuth de Moltke avait débuté comme élève à l’école des cadets de Copenhague, puis comme second lieutenant dans la petite armée du Danemark. C’était dès cette époque, dit-on, un jeune homme grave, appliqué d’esprit, tenace de volonté, circonspect et taciturne. Sous ces dehors froids et sévères sentait-il quelque ambition secrète et trouvait-il le Danemark un trop petit théâtre ? Il ne tardait pas à passer en Prusse où il était bientôt admis, comme lieutenant, à l’académie de guerre. Il entrait dès lors dans cette carrière de l’état-major, qu’il n’a plus quittée, où il s’est élevé lentement, de grade en grade, —jusqu’au jour où devenu général, chef de l’état-major prussien, il a été à son tour un des maîtres de la guerre. Il s’y était préparé par une étude constante de l’histoire militaire et par les voyages. Il avait visité la Russie ; il avait résidé quelques années en Turquie, aidant de ses conseils le gouvernement ottoman dans la reconstitution de son armée, et il avait même assisté, en 1839, à cette bataille de Nézib, où le fils de Méhémet-Ali, Ibrahim-Pacha, victorieux, aurait pu dicter la loi à l’empire. Rentré en Prusse, il avait servi tour à tour, comme chef d’état-major, dans divers corps d’armée, comme aide-de-camp auprès du prince Frédéric-Guillaume, qu’il accompagnait au couronnement de l’empereur Alexandre II de Russie. En réalité, ce n’est que vers 1858, avec le prince-régent Guillaume, qui allait succéder au roi Frédéric-Guillaume IV, ce n’est qu’à ce moment qu’il entrait à l’état-major général pour en être le chef suprême et le directeur. Il y arrivait dans une pleine maturité, connaissant la plupart des armées européennes, initié à tous les progrès de l’art militaire, l’esprit éclairé par l’étude et la réflexion. C’est alors que, devenu l’homme de confiance du nouveau souverain, soutenu par M. de Bismarck, qui arrivait au ministère pour défendre les droits de la couronne et les nécessités de réorganisation militaire contre le parlement, c’est alors qu’il pouvait se mettre à l’œuvre et déployer sans bruit ses rares facultés d’organisateur. Il mettait tous ses soins à étendre et à coordonner tous les services de l’état-major, à fixer avec autant de prévoyance que de sûreté les conditions multiples, compliquées, de la mobilisation, de la concentration rapide des armées. En quelques années, il avait refait ou créé