Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/226

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bourdaloue et La Bruyère, Fénelon aussi, Voltaire et Buffon enfin, qui sont bien des hommes du XVIIIe siècle, mais qui d’ailleurs, à tant d’égards, ont retenu quelque chose de ceux du siècle précédent.

Six ans durant, c’est donc sur eux qu’il faudra que l’on vive, pour ainsi parler, allant tour à tour du Cid à Polyeucte, et du Misanthrope aux Femmes savantes, et des Oraisons funèbres au Discours sur l’Histoire universelle. Ils seront l’élément fixe et persistant du programme. C’est leur prose et leurs vers que l’on apprendra par cœur ; et, après avoir commencé par eux, c’est par eux que l’on finira. Immobilisés, en quelque manière, comme les anciens,


Dans une attitude éternelle
De génie et de majesté,


ils prendront dans notre enseignement secondaire la place laissée vacante par les Virgile et les Cicéron, les Tite-Live ou les Horace. Leurs textes contracteront ainsi quelque chose de l’autorité qui a si longtemps été celle des textes latins. Leur personne, qu’ils ont eu soin, nous l’avons vu, d’y mêler le moins qu’ils pouvaient, disparaîtra presque entièrement de leur œuvre, ou elle ne servira plus qu’à en expliquer les rares défaillances. Ils deviendront, celui-ci, comme Pascal, le maître presque anonyme de la polémique, et celui-là, comme Racine, le « tragique » par excellence. Molière ne sera plus le valet de chambre de Louis XIV, ni le mari d’Armande Béjart, Bossuet ne sera plus le précepteur du dauphin ou l’évêque de Meaux, mais l’un « la comédie » et l’autre « l’éloquence » mêmes.

J’arrive maintenant à la troisième des exigences que j’ai tout à l’heure indiquées : c’est celle qui est relative à l’enseignement de l’histoire littéraire.

Mais on devra d’abord modifier assez profondément cet enseignement lui-même, comme celui de la littérature et de la langue du moyen âge. On étudiera l’histoire littéraire, pour elle-même, en elle-même, et non plus accidentellement, à l’occasion, et par grâce. Elle n’est encore qu’une chronologie, entremêlée d’anecdotes, je ne sais quoi de sec et de trop décharné : il faudra qu’elle devienne vraiment une histoire, une histoire vivante, où le mouvement circule ; et, cessant d’être un tableau, il faudra qu’elle se propose d’imiter ou de reproduire, dans le cours de son développement, l’évolution même des idées dans le temps.

Pour cela, je vois pas qu’il y eût beaucoup d’inconvéniens ni de difficultés, — et l’on trouverait plus d’un avantage, — à la concevoir ou à la traiter comme européenne. Je veux dire que, depuis tantôt huit ou dix siècles qu’il se fait en quelque manière, d’un bout de l’Europe à l’autre