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rectifier, qui vivait dans l’absolu plutôt que dans le relatif, qui voyait la nature comme elle est, mais se plaisait à la montrer comme elle n’est pas. Tout se rapportait plus ou moins à la personne humaine, en dépendait, s’y subordonnait et se calquait sur elle, parce qu’en effet, certaines lois de proportions et certains attributs, comme la grâce, la force, la beauté, savamment étudiés chez l’homme et réduits en corps de doctrine s’appliquaient aussi à ce qui n’était pas l’homme. Il en résultait une sorte d’universelle humanité ou d’univers humanisé dont le corps humain, dans ses proportions idéales, était le prototype. Histoire, visions, croyances, dogmes, mythes, symboles, emblèmes, la forme humaine presque seule exprimait tout ce qui peut être exprimé par elle. La nature existait vaguement autour de ce personnage absorbant. A peine la considérait-on comme un cadre qui devait diminuer et disparaître de lui-même dès que l’homme y prenait place. Tout était élimination et synthèse. »

C’est de peinture ou de sculpture, on l’entend bien, que Fromentin parlait là, mais autant qu’au grand art italien de la Renaissance, ce qu’il en dit s’applique de point en point à notre littérature du XVIIe siècle. Une « habitude de penser hautement ; » une constante préoccupation « de faire choix des choses, » « de les embellir, » de « les rectifier ; » la nature « vue comme elle est » et montrée « comme elle n’est pas ; » ou plutôt « rapportée, réduite et subordonnée à l’homme, si ce sont là des traits, et les traits essentiels de l’art de Léonard et de Raphaël, ce sont bien ceux aussi de notre littérature classique, de la tragédie de Racine ou de la fable de La Fontaine. Les uns et les autres, en essayant de saisir dans l’homme ce qu’il y a de plus général et de plus permanent, ils y ont atteint ce qu’il y a précisément de plus intime et de plus profond. En éliminant de la peinture de l’homme tout ce qu’on peut appeler des noms d’accident individuel et de particularité locale, ils ont, les uns et les autres, introduit dans leur œuvre cet élément d’universalité qui fait justement les modèles. Et nous, en les suivant, nous sommes assurés de ne pas les égaler, ce qui n’importe après tout qu’aux peintres et aux poètes, mais nous sommes assurés aussi de ne pas nous égarer, et ceci, je pense, importe à tout le monde. On n’en saurait dire autant, dans notre littérature, ni de ceux qui les ont précédés : Rabelais ou Ronsard ; ni de ceux qui sont venus après eux : Rousseau, par exemple, ou Chateaubriand.

Un philosophe en a donné quelque part une bonne raison : c’est Cournot, dans ses Considérations sur la marche des idées dans les temps modernes, un de ces livres auxquels je ne sais ce qu’il a manqué pour être plus connus.

« Les caractères de grandeur qui distinguent le plus singulièrement