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surtout pour Bossuet, dont l’Histoire des variations est peut-être le plus beau livre. Mais il faut aussi songer un peu à nos professeurs, qu’on mettrait dans l’alternative, s’il leur fallait s’expliquer sur de pareils sujets, de soulever des tempêtes, ou d’être moins que superficiels.

Pour ce dernier motif aussi, parce que nos jeunes maîtres n’en sauraient rien dire que d’insignifiant, ou qui passerait la portée de leurs élèves, je ne les chargerais d’expliquer ni le Contrat social, ni l’Esprit des lois. Ce sont là matières d’enseignement supérieur. Me permettra-t-on d’ajouter que presque tous les problèmes qu’ont soulevés Montesquieu et Rousseau, étant encore pendans, leurs livres, qui sont de beaux livres, n’ont point ce quelque chose de définitif et d’achevé qui fait les livres vraiment classiques ?

Voilà déjà bien des ratures et bien des exclusions. En effet, dans la plupart des littératures modernes, et dans la nôtre en particulier, la perfection des chefs-d’œuvre n’en est point altérée, si même elle n’en est quelquefois accrue, mais la valeur pédagogique en est singulièrement diminuée parce qu’ils ont souvent de passionnel, ou de confessionnel, ou de professionnel. Il nous en reste heureusement assez d’autres ; et, sans sortir de l’âge classique, depuis Ronsard jusqu’à Rousseau, nous sommes assez riches de textes qui peuvent dans une certaine mesure suppléer les latins. C’est ce qu’il convient de montrer, et qu’on peut bien préférer, pour son goût personnel, Chateaubriand à Bourdaloue, mais non pas comme éducateur de la jeunesse, ni comme modèle de l’art d’écrire, de composer et de penser.

Je ne manquerais pas pour cela d’excellentes raisons, mais si j’avais la maladresse de les proposer comme miennes, on me reprocherait sans doute, — à Genève ou à Lausanne, — que, de préférer le Cid à Ruy Blas, par exemple, ou Tartufe au Fils de Giboyer, ce n’est pas une preuve que Molière soit du tout au-dessus d’Emile Augier, ni la tragédie de Corneille en rien supérieure au drame de Victor Hugo, mais tout simplement que je le pense, ou plutôt que je le sens ainsi. Puisque je crois donc que la littérature française classique, — et en particulier celle du siècle de Louis XIV, — a des qualités ou des vertus éducatrices tout à fait singulières, analogues à celles de la sculpture grecque ou de la grande peinture italienne dans l’histoire de l’art, c’est à d’autres que je donnerai la parole pour le dire.

Elle est d’abord la plus humaine qu’il y ait jamais eue, sans même peut-être excepter la littérature latine ; et ce qu’il faut entendre par ce mot, nul, je crois, ne l’a mieux ni si bien dit qu’Eugène Fromentin, ici-même, dans ses Maîtres d’autrefois :

« Il existait alors une habitude de penser hautement, grandement, un art qui consistait à faire choix des choses, à les embellir, à les