Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/221

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et courtes. Leur syntaxe est plus simple encore, plus logique ou plus analogique, et, comme telle, moins savante que la nôtre. Puisque donc chacun de nous revit en abrégé l’histoire entière de sa race, étant l’enfance de la langue ou de la littérature, la littérature et la langue du moyen âge sont ainsi celles de l’enfance. Et leur vocabulaire, il est vrai, diffère sensiblement du nôtre, mais cela même, en créant l’espèce de difficulté qu’il nous faut, maintiendra dans notre enseignement français la nécessité de l’effort. Ce sera vraiment faire une version que de traduire en français moderne, de mot à mot, une page de Joinville ou quelques couplets de la Chanson de Roland. Sans compter qu’au lieu de l’apprendre plus tard, très tard, d’une façon presque savante, ces versions deviendront une occasion naturelle d’étudier la grammaire historique de la langue, au vif, pour ainsi dire, et comme en action, sans y mêler presque aucune considération de « linguistique » ou de « philologie. »

Car, — je suis bien aise d’en faire en passant la remarque, — ce qui a nui le plus à l’enseignement de la langue et de la littérature du moyen âge, c’est qu’on les a traitées, c’est qu’on les traite encore, dans des ouvrages trop spéciaux, d’une manière trop « scientifique, » avec trop d’appareil, et quelquefois aussi trop de prétention. Point de prétention ni d’appareil dans nos écoles secondaires. Mais qu’on traite seulement le français, le vieux français, comme on faisait jadis le latin, empiriquement… et modestement. Il y a moyen d’expliquer à des enfans de dix ou douze ans les lois de la formation historique de leur langue : il ne faut que les dégager de ces grands mots savans dont on les enveloppe, et au lieu de les confier aux mémoires, les faire découvrir par les intelligences. En empruntant aux médiévistes les résultats de leurs travaux, on se gardera soigneusement d’imiter leurs méthodes, et tout le monde en profitera : eux-mêmes, leurs études, et l’enseignement secondaire.

Non moins importante, la question du choix des textes classiques est de beaucoup plus délicate.

La plupart de nos conteurs n’ont point écrit pour la jeunesse, et on ne saurait guère commenter ou lire dans les classes ni Rabelais ni l’Heptaméron, — quoique, d’ailleurs, l’inspiration en soit plutôt morale, — ni les Contes de La Fontaine, ni Candide ou encore la Nouvelle Héloïse. Admettrons-nous seulement qu’on y lise l’École des femmes, ou la Phèdre de Racine ?

A un autre point de vue, pour de tout autres raisons, donnerons-nous une place dans nos programmes à l’Institution chrétienne, de Calvin ? à l’Histoire des variations des églises protestantes ? à l’Essai sur les mœurs ? Dans le temps où nous sommes, ce serait bien de l’imprudence, à moins que ce ne fût de la provocation. Je le regrette