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jours du vieux talmudisme sont comptés ; les rabbins nourris de la Guémara pleurent en vain sur l’esprit des temps nouveaux. Le vent de l’Ouest s’est levé sur Israël, et rien, chez Jacob, ne résistera au souffle qui vient de l’Occident.


VIII

Si malaisée qu’elle semble, la transformation s’accomplit. Elle ne se fait pas seulement dans la synagogue et le talmud-thora, mais aussi dans la maison, dans la famille, dans la vie domestique. Ce n’est pas uniquement le culte ou le rituel d’Israël qui tend à se « moderniser, » ce sont ses habitudes, ses mœurs, ses idées, sa vie entière. Et ici le changement ne rencontre point les mêmes obstacles que dans l’intérieur de la synagogue. S’il n’est pas loisible à la synagogue d’oublier ses traditions palestiniennes et de perdre son antique caractère national, il n’en est pas de même de la maison du juif. Rien ne l’oblige à demeurer un Oriental ; rien ne le contraint à garder des coutumes isolées, une langue ou un costume à part, des usages civils étrangers à ses voisins d’autres cultes. C’est là surtout que la transformation est frappante, et c’est là surtout qu’elle est importante. Au point de vue social, ou national, c’est la seule qui nous intéresse. Celle de la synagogue ne nous touche qu’autant qu’elle en est la condition.

Or, par tout l’Ouest de l’Europe, dans les grands centres même de l’Orient, le vieux juif à long caftan et à longues papillotes se métamorphose en homme moderne. Cette conversion du juif en israélite, elle tend à se faire partout où nos lois, ou nos préjugés, n’y mettent pas obstacle. Les juifs subissent de plus en plus l’influence du milieu où ils naissent et où ils vivent. Ils quittent peu à peu ce qu’on pourrait appeler leurs mœurs nationales. Les pratiques intimes, les rites domestiques, qui tenaient tant de place dans la maison du ghetto, vont elles-mêmes se perdant. En certains pays, dans notre France, comme en Angleterre, il n’en reste déjà plus guère qu’un souvenir poétique. Elles reculent et s’effacent, au grand regret des amateurs du pittoresque, les vieilles mœurs juives avec leur caractère biblique, leur dignité naïve, leurs touchantes légendes, « leur sentiment si vif de la vie patriarcale. » Pour les retrouver, il faut aller dans quelque village perdu de l’Alsace ; bientôt il faudra pousser jusque dans les campagnes de Pologne. A la façon dont le changement s’opère, les derniers vestiges en auront peut-être disparu avant la fin du XXe siècle. L’ancienne vie juive familiale, tout imprégnée des souvenirs de l’Orient et de la Bible, ne vivra plus que chez les conteurs de Bohême ou de