Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 105.djvu/198

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Angleterre, n’est pas toujours, à cet égard, resté en arrière du papiste ou de l’orthodoxe. Hélas ! elle a eu de la peine à descendre au fond du cœur de ceux qui se croient ses disciples, la parole de Jésus à la Samaritaine : « L’heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne, ni à Jérusalem, que vous adorerez le Père ! »

La différence entre le christianisme et le judaïsme, c’est que le particularisme national, l’esprit de tribu, et, avec lui, l’esprit de secte, répugnent au christianisme, tandis que par ses origines, par ses traditions, par ses rites même, le judaïsme a peine à s’en dégager. Or, pour que le juif puisse entièrement se nationaliser dans les divers pays qu’il habite, il faut que le judaïsme se dénationalise. S’il veut que l’israélite soit partout un citoyen comme un autre, Israël doit, avant tout, se défaire de l’esprit de tribu. Et, comme cet esprit de tribu, le judaïsme talmudique en est imprégné, on peut dire que le juif ne sera complètement Français, Anglais, Allemand, Russe, Hongrois, — il ne sera tout à fait Européen ou Américain, qu’en s’affranchissant des excès du ritualisme rabbinique. La haie d’épines, plantée autour d’Israël par les thanaïm et les amoraïm, il faut qu’elle soit coupée ou arrachée. En d’autres termes, pour que le juif devienne vraiment un homme moderne, le judaïsme doit se « détalmudiser, » se « dérabbiniser. » Ce qu’avaient tenté, dans l’antiquité, les juifs hellénistes, les Alexandrins notamment, pour adapter la loi juive à la culture grecque, les juifs contemporains ont à le faire, à leur tour, pour la mettre d’accord avec notre culture moderne. Les pratiques isolantes dont Israël avait été enveloppé par le Talmud, il les leur faut abandonner. Les juifs d’Occident l’ont compris ; voilà longtemps déjà qu’ils ont découvert que le judaïsme n’était pas rivé au Talmud. Sous l’influence de notre civilisation et de nos libertés occidentales s’opère, spontanément, dans la synagogue, un travail d’épuration du culte et du rituel. A mesure que le juif devient plus Français, plus Italien, plus Allemand, le judaïsme, et le juif avec lui, devient moins juif. N’est-ce pas, en ce sens, qu’il faut entendre la transformation du juif en israélite ? Il n’y a guère qu’une centaine d’années que cette évolution a commencé, et, en certains pays, elle est presque achevée. Que serait-ce, si elle avait pu se produire sept ou huit siècles plus tôt ? — Pourquoi a-t-il fallu qu’elle fût entravée et rendue impossible par nos lois d’exclusion ?


VII

C’est là cependant, il faut le reconnaître, une œuvre essentiellement délicate. Une religion n’est pas comme un batracien ou un insecte qui, l’âge venu, se métamorphose à l’heure marquée. Or,