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VI

Israël redevenait une tribu. C’est là un point capital. Il avait beau, par ses origines, ne plus constituer un ethnos, il n’en persistait pas moins à se regarder comme la postérité d’Abraham. Il était le rejeton des patriarches ; que ce fût par le sang, ou par adoption, lui-même l’ignorait, et peu importait : tout juif circoncis appartenait à « la Maison de Jacob. »

Israël redevenait une tribu sous la double influence qui tendait à refaire de lui une race ; sous l’action de nos lois civiles qui l’isolaient des peuples par la force, — sous l’action de ses lois religieuses qui l’en isolaient par les rites. Ici encore, les autorités chrétiennes et les autorités judaïques, les unes agissant du dehors, les autres du dedans, poussaient, inconsciemment, dans le même sens. Droit canon et code talmudique se prêtaient main-forte ; l’église et la synagogue, la royauté et le kahal, les évêques et les rabbins, en s’appliquant à le séparer de nous, travaillaient, de concert, à faire du juif une tribu étrangère aux nations. Israël, pelotonné sur lui-même, formait, bon gré mal gré, une cité dans la cité, ou, comme on dit aujourd’hui, un État dans l’État. Nos lois civiles renforçaient ses lois religieuses, et notre esprit d’exclusion alimentait son exclusivisme.

L’esprit de tribu a été, tour à tour, la cause et l’effet de « la séquestration à la fois volontaire et imposée d’Israël. » De même que le juif vaincu par Rome, le juif opprimé du moyen âge s’est serré autour de sa loi. Cette loi fut la règle absolue de la vie de Juda. « Israël l’eut devant les yeux comme une plaque hypnotique, » a dit M. Renan. Or, nous savons ce qu’est la loi, ce qu’est le Talmud, qui, en l’interprétant, en a pris la place, quelles minutieuses pratiques imposent aux fils de Juda la Thora et la Mischna. Les observances légales, nous l’avons dit, étaient, pour le juif, un isolant. Et, de fait, isoler le juif, le mettre à part des nations semble bien avoir été le but des rédacteurs de la Thora et des compilateurs de la Guémara. C’est bien une haie que ses rabbins ont plantée autour d’Israël pour le garder intact. La pratique des rites contraignait les juifs à vivre serrés les uns contre les autres, sans se mêler aux incirconcis. La loi tendait, à la fois, à fomenter chez eux le sentiment de solidarité, et à les tenir à l’écart des Gentils. La loi leur donnait ainsi l’esprit de clan. En ce sens, on pourrait dire que le judaïsme talmudique était une religion de séparatisme social ; il aboutissait à faire des juifs une société fermée au milieu des sociétés humaines.

Entre Israël et les goïm se dresse, comme une barrière, la