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Car, ce n’était pas seulement le dogme de l’unité divine et la morale du Décalogue ; ce n’était même pas uniquement la pratique du sabbat et les prières juives qu’adoptaient les païens convertis à la foi d’Israël, c’étaient parfois les observances rituelles, à commencer par le signe distinctif des descendans d’Abraham, la circoncision. A côté des simples prosélytes restés à mi-chemin, des hommes craignant Dieu, metuentes Deum, comme le centurion Corneille converti par saint Pierre[1], se rencontraient des gentils qui franchissaient les dernières barrières, adoptant, avec le sceau sanglant des fils de Jacob, toutes les coutumes judaïques. L’antiquité juive et païenne nous a laissé sur ce point des textes catégoriques. Josèphe dit formellement qu’un grand nombre d’Hellènes faisaient partie de la communauté juive d’Alexandrie[2]. Beaucoup de juifs de Cyrène, d’Antioche, de Palmyre, les grandes juiveries orientales, paraissent également avoir été de sang grec ou gréco-égyptien[3]. Aux juifs hellénisans se mêlaient les Hellènes judaïsans. Chose plus surprenante, il en a été ainsi, parfois, à Rome même. Juvénal, dans le fameux passage de sa XIVe satire, distingue entre les simples prosélytes et les convertis passés entièrement au judaïsme. Il nous montre les pères se contentant d’observer le sabbat et de s’abstenir de porc, tandis que les fils, renchérissant sur le zèle paternel, vont jusqu’à la circoncision : mox et prœputium ponunt, dit, dans son latin énergique, le satiriste du Ier siècle[4]. Vers le même temps, Tacite, parlant des recrues de toutes sortes faites par le judaïsme, dit la même chose en sa langue elliptique[5]. Au IIe siècle, l’empereur Antonin juge nécessaire d’interdire aux juifs de circoncire d’autres que leurs fils. Au IIIe siècle même, vers 225, Dion Cassius, un sénateur, parlant des guerres de Palestine, dit encore que, à côté des juifs originaires de Judée, il y a d’autres hommes « qui ont adopté les institutions de ce peuple, quoique étant d’une autre race[6]. » « Et, ajoute l’ancien consul, il y a, parmi les Romains, beaucoup de gens de cette sorte ; ce qu’on a fait pour les arrêter n’a fait que les multiplier. » Quand ce dernier passage devrait, en partie, s’entendre des chrétiens, de pareils

  1. Actes des apôtres, X, 2.
  2. Josèphe : Guerre des Juifs, liv. VII, ch. III, 3. — M. Renan (le Judaïsme comme race et comme religion, 1883) a rassemblé les principaux textes grecs et latins qui montrent la fréquence de ces conversions au judaïsme.
  3. Voyez Mommsen : Römische Geschichte, t. V (1885), p. 492-494.
  4. Juvénal : Satire XIVe, vers 95.
  5. « Circumcidere genitalia instituere, ut diversitate noscantur. Transgressi in morem eorum, idem usurpant. » — (Tacite, Historiœ, liv. V, 5.)
  6. Καίπερ ἀλλοεθνεῖς ὄντες (Kaiper alloethneis ontes) ; Dion Cassius, liv. XXXVIII, ch. XVII, texte cité par M. Renan : le Judaïsme comme race et comme religion.