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traditionnels des Hébreux, des peuples qu’Israël a toujours regardés comme lui étant étrangers par le sang, aussi bien que par les croyances, des tribus que la Bible range dans la postérité de Cham et non dans celle de Sem[1]. Par suite, il ne reste plus, en religion du moins, d’esprit sémitique, de génie sémitique. Il s’est trouvé que, tout comme les Aryens, la plupart des Sémites ont longtemps été idolâtres et polythéistes. Eux, aussi, ont divinisé les forces de la nature ; et, de la mythologie sémitique à la mythologie aryenne, il y a moins loin que de Baal, ou d’Astarté, au Dieu du Sinaï. « Depuis que la création de l’épigraphie sémitique et la découverte de Babylone et de Ninive nous ont introduits dans l’intimité des dieux sémites, on a été étonné de voir combien ils diffèrent peu, au fond, de leurs vis-à-vis aryens[2]. » Les barrières des deux panthéons vont s’amincissant de jour en jour. Mâles ou femelles, les dieux de l’Aryen et du Sémite sont parens. Bien plus, le polythéisme aryen dans sa plus haute expression, le polythéisme grec nous apparaît, aujourd’hui, imprégné des traditions religieuses sémitiques. Les autels des Hellènes n’ont pas attendu la Panagia ou l’apôtre « du Dieu inconnu » pour faire des emprunts aux cultes de Syrie. L’Aphrodite de Praxitèle est née de l’écume de la mer phénicienne, et en entrant dans l’Olympe classique, Adonis a gardé ses grâces asiatiques, et Cybèle, son cortège oriental.

On ne saurait donc plus dire que le monothéisme est l’apanage du Sémite, par opposition à l’Aryen. L’esprit monothéiste n’appartient, en somme, qu’aux Hébreux, adorateurs de Jéhovah, et après eux, et grâce à eux, aux Arabes, à demi judaïsés par Mahomet. À ce titre, — et ce n’est pas là une remarque sans portée, — le juif, l’Hébreu est isolé entre tous les peuples de race ou de langue sémitique. Il est unique dans son groupe, plus encore que ne l’est le Grec dans le sien. Il est seul, et n’a point de pareil parmi « les nations. » Non-seulement, il est hors ligne, mais il est hors cadre. Pour l’y faire rentrer, pour le ramener au niveau des Sémites voisins, il a fallu supposer, chez lui, un polythéisme primitif, plus ou moins analogue à celui du Syrien ou du Phénicien. Iahveh ne serait qu’un Baal, ou un Jupiter, qui aurait dévoré ses rivaux. Mais, avec cette théorie nouvelle, disparaît la dernière trace du contraste ancien entre le génie sémitique et le génie aryen[3].

  1. Genèse, IX, 6, 19.
  2. M. James Darmesteter, Race et tradition. (Journal le Parlement, 28 mars 1883.) — Selon le même savant (ibidem) : « La caractéristique des deux familles semble être dans la mythologie aryenne la prédominance des mythes d’orage, dans la mythologie sémitique la prédominance des mythes de saison. »
  3. De même si, dans les traditions ou les cérémonies d’Israël, on a cru relever des influences sémitiques, chaldéennes notamment, on a pu, aussi bien, signaler des emprunts de Juda aux croyances ou aux rites des aryens de Perse, les sectateurs de Zoroastre.