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redouter, du nègre émancipé, certains états de la grande république transatlantique ? Y a-t-il bien là, en présence, deux races irréductibles ? Regardons-nous et regardons les Sémites ; se distinguent-ils de nous par la couleur de la peau, ou par la forme du crâne ? Ne nous faut-il pas quelque attention pour les reconnaître ? — Parce que, d’habitude, la courbe de leur nez est plus marquée que celle du nôtre, peut-on dire que, entre eux et nous, il n’est rien de commun ?

S’en tient-on aux vagues notions de races et aux classifications plus ou moins incertaines des ethnologues, nul doute sur la parenté des Sémites avec nous. Qu’ils le veuillent ou non, l’Aryen et le Sémite sont frères ; tous leurs traits en témoignent. Tous deux appartiennent à cette grande race blanche, caucasique, méditerranéenne, comme on voudra l’appeler, qui prétend à l’empire du monde. Au point de vue ethnographique même, en admettant la réalité d’un groupe aryen et d’un groupe sémitique, le Sémite est plus près de l’Aryen que le Touranien ; le juif nous est souvent plus proche parent que le fier Magyar ou le dédaigneux Moscovite, l’un et l’autre fortement mâtinés de Finno-Turc. Et si, laissant de côté les obscurs problèmes de filiation, nous considérons le génie, l’esprit, les aptitudes ou les habitudes intellectuelles, comment ne pas avouer que le Sémite juif est plus voisin de nous que le brahme de l’Inde, qui se vante de la pureté de son sang aryen ?

Aryens, Sémites, Touraniens, autant de dénominations dont on a étrangement abusé. Il y a autre chose dans l’histoire du monde que des conflits de races. A cet égard, la science du XIXe siècle a peut-être, plus d’une fois, fait fausse route. Si les luttes de races et de tribus ont été un des élémens de l’histoire religieuse et intellectuelle de l’humanité, elles n’en ont pas été le seul facteur. Une des causes de la vogue de la théorie des races, c’est son apparente simplicité. C’était peut-être plutôt une raison de s’en défier. On le sent aujourd’hui. Après la théorie des races, qui prétendait tout résoudre par la diversité des origines, est venue la théorie des milieux, qui s’efforce de tout expliquer par les influences de lieu, de temps, de climat. En faisant la part d’exagération de chacune, il faut, au moins, les redresser et les compléter l’une par l’autre. Voici Iran et Touran, le type classique des antagonismes de races ; ils semblaient personnifier deux individualités ethniques, tranchées entre toutes. On s’est aperçu qu’ils représentaient moins deux races que deux régions, — deux génies hostiles que deux terres opposées. Il en est de même, à bien des égards, de l’Aryen et du Sémite. Le Sémite, isolé des solitudes de l’Asie ou de l’Afrique, perd beaucoup de ce qui semblait faire son originalité. Une bonne