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cent ans, ont reçu des colons de tous les pays de l’Europe ; ou les républiques hispano-américaines, qui ont inventé toute une gamme de tons et de demi-tons pour dénommer les diverses nuances de métis issus du croisement de l’Européen avec l’Indien et avec le nègre ? Toutes les nations contemporaines sont une mixture de races et de peuples plus ou moins fondus ensemble : Français, Russes, Allemands, Anglais, Italiens, Epagnols, Hongrois, Grecs, Roumains, Bulgares, — nous sommes tous des half-bred, des sang-mêlés. Grands ou petits, Occidentaux ou Orientaux, qu’ils s’intitulent Germains, Anglo-Saxons, Latins, Slaves, je ne vois point, parmi les peuples modernes, de pur sang.

Oui, dira-t-on ; mais Celtes, Latins, Germains, Slaves, les élémens ethniques dont sont composées la plupart des nations modernes sont des élémens homogènes : Français, Italiens, Allemands, Anglais, Russes, nous sommes tous parens ; nous sortons d’une souche commune, nous descendons des Aryas, nous appartenons à la grande famille indo-européenne, à la race noble et progressive entre toutes. Le juif, au contraire, est un u Sémite. » Les fils d’Abraham, d’Isaac et de Jacob appartiennent à une race hétérogène, douée d’instincts opposés aux nôtres. Entre Israël et nous, pas d’affinité : le juif ne nous est pas assimilable, il ne peut s’incorporer à nos nations aryennes.

L’objection est connue ; j’avoue qu’elle me touche peu. L’argument aurait plus de force, s’il n’était jamais entré dans la composition des nations modernes que des élémens aryens. Mais l’œil des anthropologistes y a découvert d’autres matériaux ethniques, d’origine plus humble. Au-dessous des couches dépopulations aryennes : celtes, latines, germaniques, on a reconnu, dans notre Europe, des stratifications plus anciennes, que les alluvions indo-européennes semblent avoir simplement recouvertes. Les races européennes fossiles, la race de Cro-Magnon ou celle de Neanderthal, n’ont pas entièrement disparu devant les Aryas d’Asie. L’homme quaternaire compte encore des descendans parmi nous. Rien ne permet de croire que nous soyons tous des aryens : le Français ou l’Allemand qui s’imagine être de pur sang indo-germanique peut provenir de l’homme des cavernes. En réalité, il n’y a peut-être pas, aujourd’hui, plus de « race aryenne » qu’il n’y a de « race latine[1]. »

Laissons là les temps préhistoriques et les problèmes insolubles. Ne connaissons-nous point, dans l’Europe de l’histoire, — que dis-je, n’avons-nous pas rencontré, chez plusieurs nations

  1. Voyez un récent travail de M. le professeur Huxley : Nineteenth Century, novembre 1890.