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comme sur un signal, j’entends un unanime sehr richtig ! (très juste ! ) et le silence se fait de nouveau.

Il est plus de minuit quand le discours prend fin. Le président annonce que la discussion va commencer ; mais la discussion n’est qu’une série de remercîmens au citoyen député, d’approbations de telle ou telle partie de son discours, de respectueuses additions de détail. La plupart des ouvriers qui paraissent sur l’estrade parlent avec une aisance et une précision extraordinaires ; quelques-uns parlent beaucoup mieux que le citoyen député ; mais de quelque façon qu’ils parlent et quoi qu’ils disent, l’assistance les approuve jusqu’à ce que l’officier de police se couvre et déclare la séance levée.

Il y avait à Berlin 2,000 socialistes en 1871, 11,000 en 1874, 32,000 en 1877, 56,000 en 1878, 68,000 en 1874, 200,000 en 1890. Le parti dirigé par M. Bebel est organisé avec une discipline admirable, et il y aurait bien là de quoi inquiéter les gens en place si l’on ne savait pas qu’il se forme, en face du vieux parti, un parti socialiste nouveau organisé de la même façon, mais ayant pour premier principe de lutter contre le vieux parti et de rendre ses efforts impuissans.

Impuissans, les efforts du vieux parti socialiste berlinois le seraient même sans cette résistance. J’ai idée que ni les chefs ni les soldats ne sont hommes à rien tenter de dangereux. Les chefs se sont fait une belle situation qu’ils craindraient de compromettre, et quant aux soldats, ils sont trop accoutumés à comprendre le socialisme comme une série de belles réunions publiques, où ils peuvent boire, applaudir et s’indigner à leur aise. L’atmosphère de Berlin n’excite guère à l’héroïsme. Et si une révolution sociale doit surgir en Allemagne, chacun a le clair sentiment que ce n’est pas à Berlin que sera tiré le premier coup de feu.


VI

Mercredi.

Au-dessous des pauvres qui travaillent, ceux qui ne font rien, faute de chance ou faute de courage, et qui mènent dans de sombres quartiers de la ville une existence de faim et de misère. Il y avait 38,464 individus sans asile à Berlin, en 1873 ; il y en avait 141,205 en 1881 ; depuis, ce nombre a doublé. La mendicité est interdite à ces misérables, mais ils ont la ressource du vol, et c’est