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mené au supplice, il va mourir quand apparaît Vasantasenâ. Elle avait arraché un joueur malheureux à des créanciers menaçans ; le joueur s’est fait moine bouddhiste ; c’est lui qui l’a retrouvée et sauvée. Les noirceurs de Sansthânaka se révèlent alors avec la vérité tout entière. Il ne doit la vie qu’à la générosité de Tchâroudatta ; car, au moment même, on annonce la victoire d’Aryaka et la mort de Pâlaka. Le nouveau roi, en accordant à Vasantasenâ le rang de femme libre, permet à Tchâroudatta de l’épouser.

Les divers ordres de sujets se mélangent parfois dans des proportions inégales. L’Ourvaçi de Kâlidâsa, histoire des amours et de la séparation du héros Pouroûravas et de l’apsaras Ourvaçî, associe une légende épique à bien des traits qui appartiennent en propre à la comédie de harem. Dans le Nâgânanda de Harsha, au thème ordinaire de la comédie amoureuse est superposée une légende bouddhique édifiante : le jeune héros Djîmoûtavâhana, le fils du roi des génies appelés Vidyâdharas, se sacrifie pour sauver la vie du Nâga ou serpent mythique qui doit, ce jour-là, en vertu d’un pacte immémorial, servir de pâture à Garouda, l’oiseau divin. Son dévoûment est récompensé : non-seulement il est rendu à la vie, mais le cruel tribut payé par les Nâgas est de ce jour interrompu et prescrit.

Ces pièces sont loin d’épuiser le registre des créations dramatiques. Le Sceau du ministre (Moudrârâkshasa), probablement du IXe siècle, est une sorte de pièce politique ; sans amour, sans aucun rôle féminin important, uniquement consacrée, non sans mouvement et sans intérêt, à mettre en scène les légendes courantes sur Tchandragoupta et son fameux ministre Tchânakya. À la fin du XIe siècle, le Prabodhatchandrodaya (le Lever de l’intelligence), dans le cadre d’une pièce héroïque, met en scène des personnages allégoriques et abstraits pour célébrer en définitive l’apothéose de la théologie vishnouite. La moins curieuse des inventions scéniques de l’Inde n’est pas le prahasana, la farce. La contexture n’en est ni bien forte, ni bien savante ; la gaîté n’en est guère délicate. C’est de la bouffonnerie la plus grosse, mêlée de grosses obscénités. Les brahmanes font en général ici les frais de l’amusement public. C’est comme une rançon payée souvent, hors de l’Inde comme dans l’Inde, par la classe la plus puissante, la plus exigeante en respects extérieurs. Ce sont fantaisies de lettrés en goguette ; au moins semble-t-il parfois qu’il y passe un souffle de vie populaire.


IV.

Parmi les traits qu’accuse ce rapide aperçu, il en est qui peut-être frapperont par leur apparente incompatibilité. Le clavier dont