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que les prêtres… J’ai dit aux paysans : Je suis athée ; mais pleine liberté de conscience ! Aucun homme n’a le droit de porter aux choses de la conscience une main brutale : songez à la Vendée. » Le parti démocrate-socialiste considère le centre ultramontain comme son pire adversaire ; Bebel a fièrement jeté le gant aux catholiques : mais, longtemps victimes eux-mêmes d’une loi d’exception, les députés socialistes voteront contre la loi qui exclut les jésuites. Ils n’ont pas peur des jésuites, cet épouvantail de la bourgeoisie libérale, et ils accablent de railleries les pétitions que libéraux et piétistes rédigent contre leur retour. Ils pensent qu’on ne détruira pas l’Église avec des persécutions, et ils se distinguent en cela de nos radicaux français, dont l’intelligence politique, — dans la guerre qu’ils font aux ordres religieux, même les plus charitables, — est à la hauteur de leur générosité et de leur courage. Bebel glorifie la Commune, mais il remarque combien a été inutile la fusillade de quelques prêtres : pour quelques soutanes qu’elle y a perdues, l’Eglise y a gagné des fidèles par centaines de mille. La meilleure arme contre l’Église, c’est, disent-ils, d’organiser de bonnes écoles où l’on enseigne les sciences naturelles. Ils combattent en Allemagne l’école confessionnelle et font un éloge un peu inquiétant de la réforme scolaire française, à laquelle M. Jules Ferry a mérité d’attacher son nom.

Cette modération, les chefs ne s’en cachent pas, leur est surtout dictée par des raisons de tactique et de propagande. Ils savent combien l’agitation antireligieuse, qui se poursuit avec une extrême violence dans les faubourgs de Berlin, nuirait à leur cause auprès des paysans. C’est pour ce motif qu’une motion anticléricale a été si froidement accueillie au congrès de Halle. Mais il ne faudrait pas juger de leurs sentimens d’après leur politique. Leurs écrits respirent la haine fanatique de l’Église : la démocratie sociale lutte contre le christianisme pour lui arracher l’âme des foules.

En tant que doctrine économique, le socialisme se peut accommoder avec les opinions les plus variées en philosophie et en religion. Il n’est nullement incompatible avec le catholicisme. Aux catholiques revient même en Allemagne l’honneur d’avoir été les premiers à se préoccuper du sort des classes ouvrières, à songer à une réforme sociale. Dès 1835, Franz de Baader voulait faire du prêtre le représentant autorisé des travailleurs. Lassalle se vantait de l’appui que lui donnait l’évêque Ketteler. Entre christianisme et socialisme, en effet, il y a bien des points communs, si opposées que puissent être leurs fins dernières, puisque l’un aspire au ciel par l’ascétisme, l’autre à la terre par la jouissance. Mais l’un et l’autre prennent en main la cause des pauvres et des opprimés. L’Évangile donne le pas au mendiant sur le millionnaire. Si l’Église