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conçu. La femme chrétienne a plus de droits, de liberté et de dignité que la femme des temps païens. La phase chrétienne a donc travaillé à l’affranchissement, non à l’asservissement de la femme. Bebel affirme le contraire, et ajoute que les codes bourgeois ont consacré cette servitude. Il invoque Stuart Mill qui, dans son livre la Sujétion des femmes, présente le mariage comme le seul servage réel que la loi reconnaisse encore.

Suit une critique du mariage, tel qu’il existe dans la société présente. La haute et moyenne classe en fait une pure affaire d’argent, une association des capitaux, à laquelle l’union des personnes sert de prétexte, sans le moindre souci des enfans à naître. Bebel s’empare d’une boutade du prince de Bismarck, rapportée par Busch : Un mariage entre un étalon chrétien et une poulinière juive est très recommandable. C’est en ces termes d’écurie que la plus haute aristocratie traite ce sacrement, qu’elle s’empresse de violer, une fois accompli, l’homme, par l’hétaïrisme, la femme par l’adultère, et qui ne produit dans les meilleurs cas que « cet ennui de plomb que l’on appelle bonheur domestique[1]. » Bebel cite encore la préface des Femmes qui tuent et des femmes qui volent, où M. Dumas rapporte la confidence d’un prêtre, d’après lequel sur cent femmes mariées, quatre-vingt viennent gémir au confessionnal et pleurer leurs illusions perdues. Le mariage des prolétaires, traversé par toutes les misères imaginables, nourriture insuffisante, logemens malsains, est du moins fondé sur l’attrait réciproque. S’il n’est pas exempt d’une certaine brutalité, résultat de l’alcoolisme, des conditions précaires, du moins il ne se maintient ni par l’hypocrisie, ni par l’intérêt ; si l’on ne se convient pas, on se quitte.

La forme la plus atroce de l’esclavage des femmes, c’est la prostitution que les socialistes abhorrent. Ils se refusent à y voir un mal nécessaire, une institution civile indispensable au mobilier d’une grande ville, au même titre que la police, le gaz, les journaux, les prisons, les casernes. Ces véritables armées de prostituées, 80,000 à Londres, 60,000 à Paris, 30,000 à Berlin, sont pour eux un grand reproche non à la dépravation de la nature humaine, bien que la profession ait été florissante chez tous les peuples et dans tous les temps, — mais à l’organisation présente de la société capitaliste et de la famille. Ils s’appuient sur les documens soumis au Reichstag en 1887 : dès que les chômages se produisent, la statistique de la prostitution augmente. L’Allemagne fournit un contingent énorme au marché du monde entier : Bebel relègue parmi les fables la prétendue continence des Germains.

  1. Engels, der Ursprung der Familie.