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Quelle est donc la solution qui doit satisfaire ses exigences, comment doit s’opérer cette métamorphose ? Il s’agit, dit Engels, de reconnaître la nature sociale des forces productrices modernes ; la production est collective, la distribution des richesses doit l’être aussi. Que le prolétariat s’empare d’abord de la puissance de l’Etat par le suffrage universel et l’évolution de plus en plus démocratique de la société : cela fait, que l’État s’attribue tous les capitaux privés et concurrens, pour en faire un capital collectif unique, qu’il devienne propriétaire de tous les instrumens de travail, y compris le sol et les mines, que tous les moyens de production deviennent possession de la communauté. L’affranchissement du travail exige cette transformation des instrumens de travail en bien commun de la société. Il s’agira ensuite de régler socialement le travail d’ensemble, en vue de l’utilité générale. L’État devient seul dispensateur du travail obligatoire pour tous, seul producteur, il se substitue à l’entrepreneur, il règle la production collective, comme il exploite aujourd’hui les chemins de fer, selon les besoins indiqués par la statistique, par les rapports officiels, fournis par les surveillans des départemens de vente et de produit. Donc plus de surproduction, plus de compétition privée. Après avoir ainsi réuni, accumulé tous les produits du travail social, l’Etat, comme une vaste société anonyme, devra en établir la juste répartition entre les individus, « en proportion du montant constaté de leur travail social, et conformément à une évaluation des commodités correspondant exactement au coût moyen de production. » Alors il n’y aura plus, comme aujourd’hui, de distribution indépendante de la production, c’est-à-dire des capitalistes oisifs d’un côté, et des salariés de l’autre : il n’y aura plus que des producteurs qui obtiendront, non pas comme aujourd’hui une faible part, mais le produit intégral de leur travail, sauf la partie retenue pour les frais d’administration, les établissemens publics, les hôpitaux, les écoles, les invalides, l’entretien des instrumens de travail, les fonds de réserve pour les accidens et les troubles résultant des événemens naturels[1]… retenue qui remplacera les impôts. Ce qui restera sera partagé entre les membres de la société selon le temps de travail, qui remplacera l’argent comme mesure de la valeur, et qui donnera la mesure de la part individuelle de production au travail commun, constaté par des bons. Chacun retirera avec ces bons des magasins sociaux ce qui sera nécessaire à sa consommation et à son usage, en proportion de son travail.

C’est, on le voit, une transformation radicale de la société

  1. Karl Marx, Zur Kritik des sozialdemokratischen Parteiprogramms, Neue Zeit, n° 18.