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capacités intellectuelles les circonstances les plus favorables à leur épanouissement.

A nous en tenir à la critique de la société actuelle, cette prétendue plus-value du travail de l’ouvrier, que s’attribue indûment le capitaliste, constitue, avec la théorie de l’armée de réserve, les deux formules essentielles du socialisme contemporain.

L’armée de réserve, ce second phénomène économique de la société capitaliste, est le résultat de l’anarchie de la production, sous la loi de la concurrence, et s’étend à toute la société. Il a pour effet d’abaisser encore le prix du travail de l’ouvrier, sur lequel le capital a déjà prélevé une part léonine, d’augmenter encore, aux dépens de l’ouvrier, les profits du capital. Le perfectionnement des machines, « le plus puissant moyen de guerre du capital contre la classe ouvrière, » exige moins de bras, réduit le nombre des travailleurs et amène l’excès de production, qui n’est plus en proportion de l’échange. La grande industrie, qui va chercher des consommateurs à travers le monde entier, borne et réduit chez elle la consommation des masses à un minimum, juste ce qu’il leur faut pour ne pas mourir de faim ; en produisant trop de biens, elle produit l’excès de misère, amène les chômages, jette sur le pavé le superflu des ouvriers disponibles, qui se font, concurrence, et empêchent les salaires de ceux qui restent à l’usine de monter. Ainsi se forme une armée de réserve industrielle de prolétaires sans espoir, toujours plus nombreuse, dans une situation toujours plus précaire ; le manque de travail chronique est ainsi le résultat de l’excès de production chronique. Le commerce, l’industrie, le crédit se font une guerre acharnée, rivalisent comme en un steeple-chase ; la spéculation effrénée amène les krachs à intervalles réguliers. Les marchés sont encombrés, l’argent devient invisible, le crédit disparaît, les fabriques ferment leurs portes, les ouvriers manquent de moyens de vivre parce qu’ils ont produit trop de biens, les banqueroutes se succèdent… Puis l’activité reprend de plus belle pour aboutir à un nouveau krach, à une nouvelle dépression et stagnation qui rendent le travail précaire et dépendant. Ces crises pléthoriques se sont produites sept ou huit lois depuis 1825 : « Dans la société actuelle, le mode de production se trouve ainsi en rébellion contre le mode d’échange. »

Ces crises, d’après Engels, démontrent l’impuissance de la bourgeoisie pour administrer les forces productives. Elle qui recueille les gros bénéfices, n’est nullement indispensable ; elle devient en quelque sorte une classe superflue. L’appropriation des grands organismes de production et d’échange, d’abord par des sociétés d’actionnaires, puis par l’État, où toutes les fonctions sont remplies