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Il y a peu d’années encore, tout ce cordon littoral, nous l’avons déjà dit, restait inculte, sauf sur quelques rares points privilégiés. Cependant, vers Aigues-Mortes, à défaut de plantiers, la végétation n’était pas absente des sables. Les chasseurs qui fréquentaient ces dunes solitaires pour déclarer la guerre à d’innombrables troupes de lapins circulaient à travers d’assez belles pinèdes. Aujourd’hui, presque toutes les pinèdes ne subsistent plus qu’à l’état de vestiges, et les rongeurs, — est-il besoin de le dire ? — ont été exterminés dans l’intention de protéger les jeunes vignes. En revanche, les perdreaux abondent et de temps à autre les propriétaires du terroir d’Aigues-Mortes organisent de fort belles parties cynégétiques.

L’étendue moyenne des propriétés qui se groupent autour d’Aigues-Mortes, soit dans le Gard, soit dans la partie occidentale de l’Hérault, soit dans la bande orientale des Bouches-du-Rhône, dépasse sensiblement celle des exploitations de vignes submergées ou greffées dont nous avons déjà entretenu les lecteurs de ce recueil. Avons-nous besoin d’en dire la raison, qui est bien simple ? Il y a quinze ans, les terrains de sables n’avaient aucune valeur. Quelques-uns de ces domaines n’ont été acquis au début par leurs propriétaires actuels, ou conservés par leurs anciens possesseurs qu’à raison de l’abondance du gibier qui y pullulait à l’abri des braconniers. A la rigueur, les alluvions du Vidourle et le sol de la plaine de Montpellier ont pu être utilisés naguère, malgré la disposition des vignobles, et, dans le cas où une nouvelle maladie surgirait, ne perdraient pas toute valeur, tandis que si, par malchance, on était conduit à supprimer les vignes des dunes du littoral, il serait malaisé de tirer parti de ces dunes.

La création d’un vignoble dans les sables est une opération assez coûteuse, peut-être même plus chère que l’établissement d’un plantier greffé. Les fruits de la première vendange, correspondans à la quatrième année de plantation, ne sont pas encore fermentes, que déjà le propriétaire a enfoui dans le sol 2,800 francs par hectare[1]. Mais là ne s’arrêtent pas les dépenses. Les possesseurs de vignes établies dans des terres à submersion, ou ceux qui ont greffé des souches américaines sur une grande échelle ont pu utiliser des bâtimens d’exploitation déjà construits ou profiter, dans une certaine mesure, des locaux existans. Certes, un

  1. Frais de défrichement, de nivellement, de plantation, 1,200 francs en tout. Frais de culture durant les seconde et troisième années, 2 X 400 = 800 francs. Quatrième année, frais de culture, fumure, engrais, soufrages, vendanges, etc., 800 francs.