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en nature : 7 hectolitres de vin, 440 kilogrammes de blé, 10 litres d’huile à manger, 12 kilogrammes de sel, le tout par homme et pour une année[1]. Quant aux légumes, ils ne manquent pas et croissent à profusion dans un vaste jardin arrosé par une gigantesque « noria. »

Si l’on est curieux de connaître « l’ordinaire » d’un valet de ferme bas-languedocien, nous dirons qu’il fait trois repas, complétés dans la belle saison par un goûter supplémentaire de fromage et d’oignons. La soupe figure comme base de ces trois repas ; le matin, les hommes y joignent des sardines ou des harengs saurs (arencados) et les restes du souper de la veille ; au dîner et au souper, un plat complète le menu.

La nuit, tout le monde repose dans un dortoir rustique dont les nombreux lits sont simplement constitués d’un cadre en bois bourré de paille, d’une couverture et d’un drap de lit que la maire se charge de blanchir.

Dans une ferme comme Guilhermain, on peut remplir les seconds rangs non-seulement avec « honneur, » mais avec profit ; les quatre valets classés chefs charretiers reçoivent 50 francs par mois durant toute l’année. Pour les autres, les gages non-seulement décroissent, mais varient suivant la saison. Au temps jadis, les valets de ferme restaient attachés pendant vingt années et davantage à une même exploitation et les termes mêmes de paire et de maire qui sont restés témoignent du rôle presque paternel que jouaient autrefois les maîtres valets vis-à-vis des subordonnés qu’ils étaient chargés de commander et de nourrir. Les circonstances ne sont plus les mêmes : aussi, pour modérer un peu ce va-et-vient continuel de laboureurs à gages, les propriétaires ont généralisé la règle consistant à proportionner le salaire au travail du moment. Tandis qu’à Marsillargues, par exemple, un trimestre d’employé se soldera par 112 francs, quelle que soit la date du règlement, près de Montpellier, le « charreton[2] » recevra 120 francs pendant l’été et 105 francs seulement durant la morte saison. Sans cette convention, assez juste du reste, le valet peu scrupuleux s’engage pendant l’hiver dans une ferme où il gagnera un fort salaire et, lorsque arrive le printemps, il quitte son maître et profite de la hausse inévitable qui se produit à cette époque pour louer fort cher ailleurs ses services.

  1. La maire n’a droit qu’à 240 kilos de blé par an et 5 litres d’huile, soit la demi-ration d’un valet. De fait, là comme partout ailleurs, le pain et le vin sont distribués aux hommes presque à discrétion.
  2. Charretier en second. Ce mot se trouve dans La Fontaine.