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florissant qu’autrefois. Mais toutes ces localités, grandes ou petites, présentent un aspect singulièrement uniforme d’aisance banale, d’élégance sans caractère : petites, elles semblent détachées d’une vraie ville ; plus considérables, elles ne font reflet que d’un gros village. Est-ce une erreur de notre part ? Ce trait caractéristique nous paraît emprunté au pays industriel par excellence, à l’Angleterre, où les maisons d’un bourg de 2,000 âmes répètent identiquement celles d’une grande ville, au nombre près.

Personne, aujourd’hui, ne conteste que le cruel fléau du phylloxéra, dont les ravages ont largement fait expier au Midi le bonheur relatif qu’il a eu de ne pas subir, en 1870, l’invasion prussienne ; que ce fléau, disons-nous, n’ait été introduit d’Amérique en Europe par d’imprudens collectionneurs de cépages exotiques. Deux pépinières de vignes d’Amérique, créées dans un intérêt de curiosité stérile : l’une à Bordeaux, l’autre à Roquemaure, dans le Bas-Languedoc, précisément à proximité des deux grandes régions vinicoles, ont infesté l’ouest et l’est de la France, puis enfin le pays entier. De bonne heure, quelques-uns des agriculteurs les plus compétens ont pensé que, puisque le mal était irréparable, il fallait trouver un moyen de s’en accommoder. Ce moyen devait consister à recourir précisément aux vignes du Nouveau-Monde, qui persistaient à vivre en France au milieu des ravages de l’épidémie dont elles avaient apporté les germes, et qui, au-delà de l’Océan, prospéraient dans des terroirs où succombaient les ceps transplantés d’Europe.

Des plumes beaucoup plus autorisées que la nôtre ont retracé l’historique de cette période d’essai, en ont exposé les succès et les déboires. Du premier coup, les propriétaires montpelliérains ont embrassé avec enthousiasme la solution remplaçant les cépages indigènes par les cépages exotiques. Ils se sont hardiment lancés dans la voie que leur signalait, en la frayant le premier, leur éminent compatriote, M. Planchon. Sans parler de ce botaniste prématurément enlevé à la science, plus d’un possesseur de vignobles n’a pas hésité à traverser l’Atlantique pour se rendre compte par lui-même de l’état de la viticulture américaine au-delà des monts Alleghanys. D’autres savans, restés en France, plantaient, étudiaient, expérimentaient et finalement prononçaient, en pleine connaissance de cause, des jugemens sinon définitifs, — ce mot devant être rayé du dictionnaire des termes agricoles, — du moins éminemment utiles dans la pratique. Il nous est impossible de citer tous les noms de ces chercheurs infatigables ; nous croyons seulement devoir mentionner comme hors concours celui de M. Henri Marès.