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n’ont pu s’habituer à vivre toute l’année au milieu des marais, dans une atmosphère tour à tour humide ou brûlante, dans une plaine presque sans arbres[1] et balayée par les vents. Seules des bandes de travailleurs célibataires ou mesadiers, qui passent l’hiver dans les Pyrénées, accourent à Tamariguière au mois d’avril pour ne retourner chez eux qu’après les vendanges. Leur santé se trouve-t-elle bien de cette émigration périodique sur les côtes de la Méditerranée ? Nous n’oserions l’affirmer. Cependant, le pays n’est pas positivement malsain ; les médecins de Marsillargues ne soignent pas de fièvres chaque année ; et, malgré de trop fréquentes maladies de cœur ou de foie, on peut signaler de nombreux octogénaires, anciens journaliers qui n’ont jamais quitté la région.

Quand arrive l’époque des vendanges, il faut à tout prix se procurer un personnel transitoire fort nombreux. Poser une règle absolue au sujet du recrutement de ces troupes est chose impossible. Choisissons comme exemple l’automne de 1890 : 430 personnes des deux sexes avaient été engagées pour Tamariguière dans la banlieue d’Uzès (Gard), à Saint-Pargoire (partie basse de l’arrondissement de Lodève), à Viols (partie haute de l’arrondissement de Montpellier). Les femmes et les hommes les moins actifs coupent les raisins ; ils reçoivent pour ce travail 1 fr. 50 par jour, on leur fournit la soupe du soir et un quart de litre de vin (le tout équivalant à un salaire quotidien de 2 fr. 15). Lorsque le seau que chaque coupeur ou coupeuse transporte avec lui est plein de grappes, on le vide dans un récipient de bois appelé « cornue ; » les seaux apportés par deux ou trois coupeurs suffisent à remplir la « cornue, » un homme soulève celle-ci et la place sur la tête d’un autre ouvrier appelé « porteur, » lequel se dirige vers la « pastière » ou « tombereau de vendanges » et, se baissant quelque peu, vide son chargement par un mouvement de bascule. Naturellement, l’office de porteur, tout comme celui de l’individu qui les aide à charger la cornue, étant assez pénible, est bien rémunéré. Un porteur gagne 2 fr. 50 en sus de sa nourriture. De temps à autre on voit, dans la cour du domaine, un travailleur de la veille grelotter dans un coin ; le pauvre diable est en proie à un accès de lièvre ; il n’a qu’à repartir au plus vite. Après le repas de la fin du jour, consommé dans un grand réfectoire, les vendangeurs vont se reposer dans plusieurs vastes dortoirs. On accède par une échelle à ceux consacrés aux femmes, ils comportent simplement une série de

  1. Les arbres, en général, sont l’objet d’une guerre acharnée dans le Bas-Languedoc ; néanmoins le long du Vidourle et des canaux qui y aboutissent, on peut s’abriter sous quelques rangées d’assez beaux arbres. Plus près de la mer, dans les terres mal dessalées, les tamaris parviennent seuls à se développer.