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besogne, gagnent de 25 à 45 francs par mois, quelle que soit la saison ; ils couchent au grenier à paille dans des draps que leur fournit le domaine. Le samedi, après que les travaux sont finis et la soupe mangée, tous les valets se dispersent et vont passer le dimanche à la ville de Marsillargues[1] ; ils ne rentrent que le dimanche soir ou le lundi matin avant l’aube. Seul, un homme de garde, commandé à tour de rôle, reste pour veiller aux cas imprévus et donner leur provende aux mules.

Aux environs de Marsillargues, les journaliers partent, chaque matin, de leur domicile munis de provisions pour la journée, vont accomplir leur tâche chez le propriétaire qui les emploie, et rentrent chez eux à la tombée de la nuit. À la Communauté, l’éloignement de l’agglomération (7 kilomètres) complique la situation ; il suffit, du reste, d’avoir parcouru, une fois, en hiver, les fondrières non empierrées qui servent en guise de chemins pour se faire une idée de l’extrême difficulté des communications au milieu de ces anciens marais desséchés. Les travailleurs sont obligés de s’absenter de chez eux depuis le lundi matin jusqu’au samedi après midi ; ils couchent tous les soirs à la ferme, où ils portent eux-mêmes leur literie primitive.

Un groupe d’ouvriers agricoles se nomme, dans le Bas-Languedoc, une « colle ; » les hommes d’une même « colle » obéissent à un chef qui prend le nom de baile[2]. Le baile, tout en travaillant comme ses subordonnés, leur donne le signal du lever, de la cessation et de la reprise de la tâche. Ses fonctions sont rémunérées par un excédent journalier de salaire de 0 fr. 25. Ceci nous amène à dire que les travailleurs ordinaires sont réglés sur le pied de 0 fr. 40 l’heure, soit, en pratique, 2 fr. 50 en hiver, 4 francs et même 4 fr. 50 en été ; on les occupe d’un soleil à l’autre. Le sulfatage des ceps au pulvérisateur en vue de les préserver du mildew est le travail le plus sale et le plus rebutant ; aussi ceux qui s’en acquittent sont-ils un peu mieux payés que les autres.

Lorsque les hommes quittent leurs foyers le lundi pour n’y plus rentrer qu’à la fin de la semaine, ils emportent avec eux un panier rempli de vivres ou biasso. Ces alimens servent en général aux repas du matin ou du milieu du jour ; le soir, la maire, moyennant une petite rémunération, leur prépare la soupe ; d’autres fois,

  1. La commune n’a pas un seul hameau ; elle se compose du bourg et d’une série d’exploitations ou de « mas, » séparés les uns des autres par des intervalles d’autant plus grands qu’on s’éloigne davantage du centre communal.
  2. Dans l’arrondissement de Montpellier, le baile est un chef ouvrier ; nous savons que sur les bords du Rhône le même mot s’applique au maître valet dirigeant l’exploitation.