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mauvais. Naturellement toute la jeune génération sait lire, écrire et s’exprimer à peu près correctement, sinon sans accent. D’autres sont plus instruits encore ; nous connaissons un simple valet, fils d’un paire auquel il succédera un jour, qui pourrait, tout en conduisant sa charrue, débiter des passages de Virgile.

Revenons au cas particulier de l’homme marié qui, sous la direction du régisseur, conduit l’exploitation de la terre de la Communauté. Il reçoit par an 600 francs de gages. On lui donne en outre assez de vin pour abreuver tout son personnel mâle, lui compris. Nous savons que la maire ne touche pas de vin et, de plus, pendant les six mois d’hiver, du 1er octobre au 1er avril, au vin on substitue la piquette. Malgré ces restrictions, la consommation de la ferme est en pratique très considérable. Sans compter bien étroitement, on distribue la boisson, plus ou moins baptisée, à raison de deux litres par jour. L’homme le plus sobre reste au-dessous de cette moyenne pendant la saison froide, mais, à l’époque des chaleurs, consomme journellement ses quatre à cinq litres. Du reste, ce que le travailleur bas-languedocien réclame, c’est la quantité, le volume de liquide ; il paraît se soucier médiocrement de la qualité. Mais nous pouvons en indiquer la raison : la piquette la plus médiocre fabriquée dans une ferme de la rive droite du Rhône est encore très supérieure à la boisson dont se contentent les vignerons du Beaujolais.

On nous a affirmé quelquefois que certains journaliers économes, à force de consommer beaucoup de vin, en arrivaient à se soutenir avec une très faible dose de nourriture solide. De tels exemples sont exceptionnels ; dans la pratique, le paire, mangeant à la même table que son personnel, est forcé de ne pas lésiner sur la nourriture de ses gens. A la Communauté, il reçoit un franc par tête et par jour. Disposant d’un jardinet, il peut se dispenser d’acheter des légumes et jouit en outre des produits de sa basse-cour. Souvent il économise les frais de boucherie en abattant une des vieilles brebis du troupeau qu’il paie alors au propriétaire à un tarif convenu[1].

Au paire sont subordonnés dans l’ordre hiérarchique sept valets, deux bergers, le gardien de la « manade, » des chevaux camargues, et enfin le garde particulier chargé de la surveillance de la propriété. Les valets, qu’une inscription patoise gravée au-dessous du cadran solaire invite à se rendre promptement à la

  1. Avant que la culture des céréales ne fût supprimée à la Communauté, les arrangemens étaient différens. On comptait au paire 0 fr. 30 par jour et on lui donnait en outre pour un an 6 hectolitres de blé : le tout par unité.