Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/848

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur concurrence sur tous les marchés du monde. La France a non-seulement gardé ses positions dans cette lutte de la concurrence, elle les a étendues et fortifiées. Que veut-on de plus ? En raisonnant par hypothèse, à l’instar des protectionnistes, ne pourrait-on pas soutenir que, si les traités de 1860 n’avaient pas stimulé nos manufacturiers, s’ils n’avaient point facilité à nos produits l’accès des marchés étrangers, les exportations auraient fléchi ? Cette hypothèse vaut bien l’autre.

Quant à l’augmentation du chiffre des importations, rien de plus naturel, puisque l’on a rendu ces importations plus faciles par la levée des prohibitions et par la réduction des taxes. Est-ce donc un mal que le commerce nous ait fourni en plus grande abondance les denrées alimentaires, les matières brutes et même les produits fabriqués, en un mot tout ce que réclament nos convenances et nos besoins ? Le travail de nos usines, l’approvisionnement de nos marchés, les profits, les salaires, le capital national, en ont-ils souffert ? Pas le moins du monde : les preuves, visibles à l’œil nu, attestent qu’il n’en est rien. On nous assure, cependant, que, dans nos rapports avec l’étranger, l’excédent des importations nous a faits débiteurs, alors que, précédemment, nous étions toujours créanciers ; nous achetons plus que nous ne vendons, une part de notre fortune s’écoule chaque année pour payer nos dettes. L’équilibre, dit-on, est rompu à notre détriment ; c’est le fait des traités de 1860, il faut revenir au plus tôt à l’âge d’or, où, les exportations excédant les importations, nos ventes dépassant les achats, la France recevait de l’étranger un solde en capital et en profits.

Cet argument ne se rencontre pas seulement dans le rapport général de la commission des douanes, il est reproduit dans quelques-uns des rapports particuliers ; il faut reconnaître qu’il est d’opinion courante et presque populaire. Dans le langage de l’école, c’est la théorie de la balance du commerce, théorie dont tous les économistes, à partir d’Adam Smith, ont dénoncé la fausseté : on ne nous suivrait pas, s’il nous prenait l’idée de rééditer ici leurs savantes dissertations. Il est préférable de s’en tenir à une simple démonstration par le fait. L’Angleterre est, certes, un pays riche. Eh bien ! de tout temps, les importations y ont excédé les exportations, et cela dans des proportions très sensibles. Nous avons sous les yeux les chiffres de son commerce extérieur en 1887, 1888 et 1889. Pour l’ensemble de ces trois années, l’excédent de l’importation a été d’un milliard quatre cents millions de francs ! Cela dure depuis quarante ans. L’Angleterre, cette énorme débitrice, selon la théorie de la balance du commerce, devrait être depuis