Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/844

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’attention publique sur ces détails de chiffres ; ils étaient trop avisés pour déclarer que le consommateur français devait leur payer 125 ou 130 francs les produits que l’Angleterre pouvait lui fournir à 100 francs. Non : ce qui les blessait par-dessus tout, c’était le fait même de la levée des prohibitions, c’était la destruction de leur plus solide rempart. Depuis 1822, sous tous les régimes politiques, ils avaient réussi à demeurer les maîtres du tarif, à faire la loi aux députés, aux ministres, aux souverains. Bien qu’ils eussent été prévenus en 1856 que les prohibitions seraient supprimées en 1861, ils se croyaient assurés d’une prorogation indéfinie des délais, lorsque le traité de 1860 vint les surprendre. De là leur déconvenue et leur mécontentement très vif. Mais au fond, ce traité, avec ses 30 pour 100, était parfaitement inoffensif.

Ce qui pouvait l’être moins, c’était le tarif spécifique, qui devait, aux termes du traité, remplacer ou plutôt traduire en chiffres fermes le tarif à la valeur. Les 30 pour 100 étaient un maximum, au-dessous duquel les rédacteurs des nouveaux tarifs avaient à se mouvoir, en abaissant plus ou moins les chiffres des droits, selon la situation particulière de chaque industrie, selon les besoins des consommateurs et selon l’intérêt des échanges que l’on voulait de part et d’autre développer entre les deux pays. Là était le point délicat, le seul qui fût de nature à préoccuper sérieusement le gouvernement français et à provoquer les légitimes inquiétudes des industriels. Si, en effet, ces tarifs spécifiques étaient ramenés trop bas, le succès du traité risquait d’être gravement compromis, et, comme ils devaient être définitifs pour dix années, les erreurs commises auraient eu des conséquences irréparables. Aussi fut-il jugé nécessaire d’ouvrir une enquête générale devant le conseil supérieur de l’agriculture, du commerce et de l’industrie, érigé en tribunal pour entendre tous les intéressés et pour statuer sur la fixation des nouveaux droits conventionnels.

On a fait, en France comme en Angleterre et en Belgique, beaucoup d’enquêtes et sur toutes sortes de sujets. Aucune enquête ne fut plus complète que celle-là, ni mieux organisée. D’ordinaire, les enquêtes se composent de circulaires adressées aux préfets, aux chambres de commerce, aux principaux syndicats : on y a récemment ajouté des questionnaires à l’usage du public. Les documens, ainsi recueillis, sont envoyés à une direction ministérielle ou à une commission parlementaire. Lorsque l’enquête devient orale, les déposans répètent plus longuement ce qui a été écrit, répondent aux objections et défendent leur cause en toute liberté. Il semble que ces informations multipliées doivent répandre de vives lumières sur les questions étudiées par le gouvernement ou par les commissions des chambres.