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On ne sait que trop par quels actes d’atroce démence les derniers jours du mois de mai 1871 furent signalés à Paris. Tandis que, à la prison de la Roquette et ailleurs, des bandes de forcenés sacrifiaient des victimes humaines à leurs haines aveugles, d’autres entreprenaient de lancer la mort jusque sur les choses. Ils remplaçaient le fusil par la torche, l’arme qui tue en face par la mine sournoise et le pétrole, et, le moment venu, ils livraient à la destruction qu’ils avaient préparée les monumens coupables à leurs yeux de perpétuer les souvenirs de notre histoire, de consacrer l’art de nos pères ou les mérites des artistes contemporains. Parmi ceux-ci, combien démembres de l’Académie des Beaux-Arts dont les œuvres les plus importantes disparurent dans cette tempête de feu déchaînée d’un bout à l’autre de la ville ! M. Le Sueur et M. Baltard qui avaient, le premier construit l’ensemble, le second complété plusieurs parties de l’Hôtel de Ville, — M. Lehmann, M. Léon Cogniet, M. Cabanel, qui en avaient orné de peintures les galeries ou les salles, à côté de celles où se trouvaient les plafonds d’Ingres et de Delacroix, — M. Duc, l’architecte du nouveau Palais de Justice, presque entièrement détruit à l’intérieur, — M. Lefuel, qui voyait se réduire en cendres, avec les trésors renfermés dans la bibliothèque du Louvre, les murs de cette bibliothèque élevés et décorés par lui, comme ceux des magnifiques appartemens que les flammes dévoraient à la même heure aux Tuileries ; — d’autres académiciens encore, peintres, sculpteurs ou architectes, expiaient, par la suppression absolue de leurs travaux, leurs offenses à cet évangile du néant dont on prétendait installer le règne.

Cependant, à l’embrasement des édifices publics sur les deux rives de la Seine s’ajoutait l’incendie des propriétés particulières, et, de ce côté encore, la rage de la destruction condamnait l’art et les artistes à plus d’un deuil cruel. Une maison surtout, située rue de Lille, presque en face du palais de la Cour des comptes et incendiée en même temps que ce palais, laissait, en disparaissant, des regrets d’autant plus amers à ceux qui en avaient autrefois franchi le seuil, qu’il s’y mêlait le sentiment d’un véritable malheur public : maison chère à l’Académie des Beaux-Arts, dont elle semblait être la succursale, tant les membres de la compagnie s’y rencontraient habituellement, maison bien connue aussi des jeunes artistes, qui trouvaient sous ce toit deux fois généreux, à côté des plus hautes leçons du passé, les conseils et l’appui les plus profitables, la plus efficace protection dans le présent.

C’était là, comme jadis dans la demeure où s’étaient succédé les deux Mariette, que le fils d’un artiste érudit, érudit et artiste lui-même, M. Gatteaux, membre de l’Académie depuis 1845,