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complimens ou en subterfuges entre une majorité qui ne sait pas trop ce qu’elle veut, mais qui le veut bien, comme on le disait autrefois de l’empereur Napoléon III, et des ministres qui bornent visiblement leur ambition à éviter de se compromettre avec cette majorité énigmatique. On dirait que, dans tous les camps, il y a une certaine hésitation à s’engager de peur de se heurter. C’est le secret de cette stérile session : elle aurait fini dans la plus complète insignifiance si M. Jules Ferry, impatient de reparaître sur la scène, n’avait essayé d’animer ces derniers jours par ses interventions et ses discours.

Voilà qui est clair ! Si on avait cru que M. Jules Ferry n’était plus qu’un philosophe désintéressé et désabusé de la politique, il a tenu à prouver qu’il était toujours prêt à l’action et à tous les rôles. A peine ramené au sénat par les élections dernières, il s’est remis à l’œuvre. Il a brigué une place à la tête des plus grandes commissions ; il a voulu être président de la commission des douanes, la plus importante aujourd’hui, puis président d’une commission d’enquête sur l’Algérie. Et comme si ce n’était pas assez, il a saisi, tout récemment, l’occasion d’une réunion d’une société républicaine pour s’expliquer sur les affaires du pays, sur la politique de son parti. Il est allé présider son banquet sur le mont Aventin révolutionnaire, à l’Élysée-Montmartre. C’était peut-être hardi de sa paît : il ne manque pas de courage et il ne craint pas le bruit ; il était d’ailleurs assez protégé par M. le ministre de l’intérieur pour tenter l’aventure, et, de fait, il a pu prononcer sa harangue sans contre-temps. Si ce n’est pas un manifeste, c’est du moins le discours d’un homme satisfait, comme on en a entendu plus d’une fois sous tous les régimes. M. Jules Ferry est un politique qui, pour le moment, voit tout sous les plus riantes couleurs, qui est satisfait de tout. Il est satisfait de voir la stabilité ministérielle se fonder, la sagesse pénétrer la majorité parlementaire, les radicaux eux-mêmes renoncer à leurs chimères et se plier aux douceurs de la concentration, les idées de gouvernement se développer et assurer l’ascendant du parti républicain sur le pays ! Que ne voit-il pas ? Il n’est point, en vérité, difficile à satisfaire. Assurément, les radicaux ne se hâtent pas, par la raison bien simple que le gouvernement subit leur loi et s’arrête à leurs premières sommations, que M. Jules Ferry lui-même n’a, en définitive, d’autre programme que le programme radical. Ce que l’ancien président du conseil appelle progrès de l’esprit de gouvernement, c’est l’art de se prêter à toutes les concessions, de gouverner avec toutes les idées de désorganisation et de destruction, avec les passions de secte, avec les exclusions et les préjugés de parti. Si c’est sur cette base fragile qu’il compte édifier la « stabilité ministérielle ; » si c’est avec cette politique qu’il se flatte d’accréditer la république, en la présentant comme un régime « bien ordonné, » fondé sur des « idées sérieuses de gouvernement, » il se fait une étrange illusion. Il est tout