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mais enfin celles-ci dansent comme les autres, les bras arrondis, aux sons des harpes et autres instrumens symboliques de l’esclavage féminin, opposés aux motifs barbares des prisonniers mâles. Ah ! que sont devenues les nobles Troyennes que ramenait naguère au pays d’Argos l’Agamemnon des Érynnies ? Celles-ci ne se trémoussaient pas comme de belles Fatmas, et quand elles passaient, tordant leurs bras blancs et pleurant en silence, de l’orchestre montait vers le ciel de la Grèce toute la douleur d’Ilion.

Après le défilé, lorsque tout le monde est en place, les personnages principaux se mettent à chanter chacun à leur tour, puis par petits groupes de prêtres, de guerriers, enfin les voix se réunissent et l’ensemble ordinaire se développe. Il est manqué ici, l’ensemble traditionnel, et, sauf une toute charmante romance du vainqueur soulevant le voile d’Anahita, nous n’avons rien démêlé dans ce bruit. Zarastrâ lui-même, contre la calomnie de Varedha et des prêtres, ne trouve pas un beau cri d’indignation et d’éloquence.

Le troisième acte, celui de la retraite et de la prédication sur la montagne, bien qu’en dehors de l’action, n’était pas indigne d’inspirer le librettiste et le compositeur. Dans le passé de la poésie et de la musique, quels souvenirs et quels exemples ! En poésie d’abord :


Prophète centenaire, environné d’honneur,
Moïse était parti pour trouver le Seigneur.
On le suivait des yeux aux flammes de sa tête ;
Et lorsque du grand mont il atteignit le faite,
Lorsque son front perça le nuage de Dieu,
Qui couronnait d’éclairs la cime du haut lieu,
L’encens brûla partout sur des autels de pierre,
Et six cent mille Hébreux, courbés dans la poussière,
A l’ombre du parfum par le soleil doré,
Chantèrent d’une voix le cantique sacré[1].


Voilà, je l’avoue, le tableau que je rêvais. Ce n’est pas que le couplet suivant, mis par M. Richepin sur les lèvres de Zarastrâ, manque d’onction ni de piété :


Heureux celui dont la vie
Pour le bien aura lutté toujours,
Car son âme est ravie
Au bonheur éternel des célestes séjours.
Les douleurs qu’il out sur la terre
Lui deviendront là-haut des voluptés sans fin.
S’il eut soif, c’est le vin qui toujours désaltère,
Et c’est le pain servi pour toujours, s’il eut faim.


Ce n’est pas mal, et la mélodie de M. Massenet a beaucoup de douceur. J’accorde qu’elle est charmante, avec son pur contour, la molle

  1. A. de Vigny Moïse).