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Nord-altaïque lui-même, le chantre des Gueux et des Blasphèmes a pris son sujet dans l’histoire de sa race et de son pays. Mais était-ce bien la peine de remonter à 2500 ans (environ) avant Jésus-Christ et d’aller jusqu’en Bactriane pour nous donner une rapsodie d’Aïda, du Prophète, de la Juive, de l’Africaine et même des Mystères d’Isis ?

On comptait sur un poème original, sur un progrès, que dis-je, une révolution dans l’art du libretto. L’allégorie, le symbole, devaient faire du Mage une œuvre philosophique, historique et religieuse. Ce serait la lutte entre l’esprit et la chair, entre la volupté et l’amour ; ce n’est rien de tout cela, et le livret, qui menaçait de consacrer la honte de M. Scribe, tourne à l’honneur du librettiste de Robert, qui n’était pas touranien.

Nous connaissons trop bien, depuis l’Africaine et surtout Aïda, le ténor aimé de deux femmes. Sans compter que la tendresse acharnée de Varedha finit par imposer à Zarastrâ des attitudes déplaisantes. Une fois au moins par acte, Varedha vient s’offrir à l’homme qui la repousse. Telle, dans l’immortelle odyssée de M. Cryptogame, l’infatigable Elvire vole sur les traces du choisi de son cœur et le poursuit jusque dans le ventre de la baleine, où ce nouveau Jonas, ou Joseph, s’est réfugié.

Quant à la retraite de Zarastrâ dans la montagne, cette vocation de mage, que rien ne prépare et que rien ne suit, n’est d’aucune portée ni d’aucune influence ; inutile oratorio dans un drame lyrique sans unité. Le style enfin nous a paru plus d’une fois indigne de M. Richepin : pauvre d’idées, de mots et même d’images. A part quelques strophes vraiment heureuses, le règne de la poésie ne semble pas encore arrivé à l’Opéra.

Y arrivera-t-il jamais ? Est-il même indispensable qu’il y arrive ? J’en doute. Peut-être demande-t-on trop de qualités aux livrets d’aujourd’hui. J’en sais de médiocres qui jadis ont servi de prétextes à d’immortels chefs-d’œuvre ; il ne tenait qu’à M. Massenet que le Mage fût de ceux-là.

Les meilleures pages de la partition se trouvent au premier acte et au troisième ; au premier surtout, qui reste presque tout entier dans une demi-teinte assez agréable de douceur et de rêverie. Très poétique, le lever du rideau : une nuit d’Orient ; sous les rameaux gigantesques des cèdres, des prisonniers étendus murmurent un chant de leur pays, mélopée traînante et mélancolique. Du Félicien David peut-être ; mais du meilleur et avec une autre facture, ou, comme on dit, une autre patte. La patte, c’est ici un accompagnement de clarinette, aux sonorités délicieusement graves, sur lequel psalmodie le chanteur ; là, c’est une cadence dont la suspension sur une note haute produit l’effet le plus heureux.

Nous avons moins goûté le réveil du camp, au lever du jour. Quelques trompettes suraiguës ont paru par trop perçantes, et puis, n’a-t-on pas