Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/703

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REVUE MUSICALE

Théâtre de l’Opéra : le Mage, opéra en 5 actes et 6 tableaux, paroles de M. Jean Richepin, musique de M. Jules Massenet.

On lit dans un beau livre, les Sources, du père Gratry : « Là où vous ne voyez pas, où vous ne sentez pas, n’écrivez pas : taisez-vous. « Après le Mage, hélas ! notre désir serait de nous taire, car nous n’avons rien ou presque rien senti ni vu dans l’opéra de MM. Richepin et Massenet. Mais le silence gardé pourrait passer pour impertinence et dédain. Mieux vaut encore parler, fût-ce pour dire notre déconvenue et nos regrets et pour affirmer à l’un de nos premiers musiciens, en dépit, non pas de cette décadence, mais de cette défaillance seulement, la ténacité de notre espoir et la fidélité de nos souvenirs.

Qui donc nous reprochait l’autre soir de changer à l’égard de M. Massenet ? Mais c’est lui qui change, et si souvent, si vite, qu’on a peine à le suivre en ses métamorphoses. Que n’est-il demeuré le Massenet d’autrefois, ou même d’hier, d’avant-hier tout au plus, celui de Marie-Magdeleine, des Érynnies, du Roi de Lahore, ou celui de Manon ? Nous aurait-il donné notre pain blanc le premier ? Oh ! si blanc, si délicat, si léger, avec une couleur et un parfum de gâteau ! Il a mis à la pâte une main trop nerveuse, et la crampe est venue. Il est de ceux qui pour embrasser trop finissent par mal étreindre. Esclarmonde nous avait déjà inquiété. Nous en trouvions la tendance fâcheuse pour la musique en général et surtout pour la musique de M. Massenet, désormais orientée vers un pôle qu’elle ne touchera pas. De cet effort et de cet excès, le talent du maître ne s’est pas encore remis ; le ressort en demeure forcé ; l’inspiration, courte et haletante. Le charmant compositeur a tous les secrets de la grâce ; il envie celui de la force, qu’il ne saura jamais. Qu’il se défie de ses ambitions secrètes ; fût-ce de certaines pages de lui : la mort du Christ dans Marie-Magdeleine ; le