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point, ils n’en auraient pas moins essayé de rendre la poésie contemporaine à ses vraies destinées ; et ce service, dès à présent, leur doit être compté lorsque l’on parle d’eux. La volonté a, en effet, plus de part qu’on ne le veut bien dire aux révolutions littéraires. C’est par un acte de volonté qu’entre 1550 et 1560 les Ronsard et les Du Bellay, rompant avec la tradition gauloise, ont « illustré » la poésie française, et l’ont rendue capable, pour la première fois, des grandes images, des grands mouvemens et des grandes pensées. C’est par un acte de volonté qu’entre 1620 et 1660 les Malherbe et les Boileau ont fixé, en opérant la séparation du style noble et du vulgaire, les règles ou plutôt les lois du classicisme. C’est par un acte de volonté qu’entre 1820 et 1840, les Hugo et les Sainte-Beuve ont accompli la révolution romantique. Leurs œuvres, au surplus, en sont d’assez éloquens témoignages, s’il est vrai, comme je me chargerais de le montrer au besoin, que la poésie de Ronsard soit exactement au contrepied de celle de Marot, et que les premiers essais du romantisme naissant se définissent et se caractérisent de point en point, trait pour trait, par leur opposition avec les dernières œuvres du classicisme expirant. Hernani est d’abord, et presque avant d’être lui-même, le contraire de Sémiramis ou de Denys le Tyran, comme l’Ode au chancelier de L’Hôpital est avant tout le contraire des Épîtres de Marot.

Dirai-je qu’il y a mieux encore ? Je le pourrais si je le voulais, et je ferais voir aisément que chacune de ces renaissances poétiques a été précédée d’un retour au symbolisme. Maurice Scève et les Lyonnais ont frayé les voies à Ronsard ; précieux et précieuses ont préparé pour Boileau le terrain dont il a, d’ailleurs, commencé par les balayer ; et, dans ce siècle même, qui ne sait la part de Bernardin de Saint-Pierre et de Chateaubriand, des Études de la nature et du Génie du christianisme dans la formation de l’idéal romantique ? ..

Mais, sans insister sur ces rapprochement qu’aussi bien ne faut-il pas serrer de trop près, je dis que la valeur des idées critiques de nos symbolistes est entièrement indépendante de celles de leurs œuvres ; j’ai tâché de montrer qu’elle était réelle ; et, si j’y ai réussi, on conviendra que cela valait mieux peut-être que d’en rire, et que de citer, pour l’ébattement des admirateurs de Béranger, quelques vers d’Ancæus, ou des Palais nomades, ou du Pèlerin passionné.


F. BRUNETIERE.