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c’est du symbolisme que la Légende des siècles, c’est du symbolisme que la Chute d’un ange, c’est du symbolisme que les Destinées. Et s’ils disaient peut-être, ce qui est vrai dans une certaine mesure, que Vigny, Lamartine et Hugo ne sont symbolistes qu’en tant que poètes, secondairement et accessoirement, au lieu qu’ils sont, eux, poètes en tant que symbolistes, mais symbolistes d’abord, je les renverrais à l’Antigone de Ballanche et à la Panhypocrisiade de Népomucène Lemercier.

Précisément parce que le symbolisme est de l’essence de la poésie, comme ils le pensent, et comme je viens d’essayer de faire voir pourquoi, il faut bien que le symbolisme soit aussi ancien que la poésie même et contemporain, si je puis ainsi dire, de ses premiers balbutiemens.

Mais, d’un autre côté, si, depuis une quarantaine d’années, les poètes eux-mêmes l’ont oublié, s’ils ont traité la poésie comme on faisait autour d’eux le roman, avec la même préoccupation de la fidélité matérielle du décor et la même incuriosité de l’idée, on voit pourquoi nous savons gré à cette jeunesse, rien qu’en, prenant ce nom de symbolistes, non pas, hélas ! d’avoir encore ramené, mais d’avoir voulu ramener la poésie à une conception d’elle-même plus libre, plus large, et plus haute. Nous ajouterons, si l’on veut, que dans l’œuvre même de Lamartine et d’Hugo, sinon dans celle de Vigny, l’éloquence tenant presque plus de place encore que la poésie même, ce n’est pas sans quelque apparence de raison qu’ils persistent, même après eux, à tenter d’autres voies.

Maintenant, pour atteindre leur but, ont-ils besoin, comme ils le disent, de réformer la métrique et la langue ? Je pense qu’il leur est permis au moins de l’essayer. Et, en vérité, si l’on voulait bien y réfléchir, puisque l’on loue les parnassiens d’avoir créé pour eux un vers nouveau, qui n’est pas le vers romantique, et les romantiques, encore davantage, d’avoir émancipé le vers classique des entraves que lui avaient forgées les Malherbe et les Boileau, n’est-il pas plaisant qu’on dispute aux symbolistes le droit de chercher à leur tour un nouveau vers, dont la complexité, l’harmonie savante et la fluidité réponde à l’idée qu’ils se font de la poésie même ? C’est l’objet, et si je puis ainsi dire, c’est l’ambition, la très naturelle et très légitime ambition de leurs vers polymorphes, et j’ajoute que, comme autrefois pour le vers romantique, c’est le succès qui jugera la question.

Je leur fais seulement observer que cette question elle-même en forme deux, dont je ne vois pas qu’ils se soucient assez.

La première est de savoir si le vers de douze pieds, l’alexandrin français et l’hexamètre grec, ne serait pas peut-être, comme l’a soutenu M. Becq de Fouquières, en son curieux Traité de