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la forme ou le son d’un mot, et la nature propre de l’objet ou de l’individu qu’il désigne. Et, généralement, n’y ayant rien au monde qui ne puisse à l’occasion exprimer, signifier, ou suggérer quelque chose de plus que lui-même, il n’y a donc rien qui ne soit ou qui ne puisse à quelque égard devenir un symbole. Apprenons-le, si nous l’ignorons. Mais, si nous ne l’ignorons pas, ne faisons pas les étonnés ou les mauvais plaisans en présence du symbolisme. C’est vraiment nous qui donnerions plutôt à rire. Examinons ; et voyons ce qu’il y a dans le symbole d’analogue ou de convenable à l’idée que nos symbolistes se font eux-mêmes de la poésie : c’est ma seconde observation.

Il y a d’abord l’attrait de sa richesse et de sa complexité. Le symbole n’est-il peut-être, comme le disent les grammairiens et les lexicographes, qu’une comparaison ou une allégorie plus prolongées et plus obscures ? Je croirais plutôt le contraire, et que, comme les figures ont précédé les définitions et les catalogues des rhéteurs, ou comme le discours a précédé l’analyse de ses parties, ainsi, le symbole a précédé la comparaison ou l’allégorie, qui n’en sont, à vrai dire, que des démembremens. Tandis qu’en effet, la comparaison ou l’allégorie n’expriment guère que deux choses ensemble, le symbole au contraire en exprime au moins trois, et souvent davantage. Il est image, il est légende, il est idée ; et la pensée, le sentiment, les sens y trouvent également leur compte.

La Diane d’Euripide est la déesse des bois et des montagnes ; elle est aussi l’immortelle protectrice d’Hippolyte et l’irréconciliable ennemie de Vénus ; elle est encore la chasteté qui fait les cœurs froids, les esprits lucides, et les volontés fermes. La Béatrice de Dante est une personne réelle, que l’Alighieri a réellement aimée ; elle est aussi son inspiratrice ou sa Muse ; elle est encore la Science et la Philosophie. L’Éloa de Vigny est une « sœur des anges ; » elle est aussi la femme ; elle est encore le mystérieux et impur attrait qui pousse les Elvire dans les bras des don Juan.

Là, dans cette complexité, est la puissance, la beauté, la profondeur du symbole. Ce que la comparaison ou l’allégorie distinguent, divisent et séparent pour l’exprimer alternativement, le symbole, au contraire, l’unit, le joint ensemble, et n’en fait qu’une seule et même chose. Il relie l’homme à la nature, et tous les deux à leur principe caché. Ou encore, et tandis que l’allégorie ou la comparaison ne servent qu’à faire briller l’esprit ou l’habileté du poète, le symbole, allant plus loin et plus profondément, nous fait saisir entre le monde et nous quelqu’une de ces affinités secrètes et de ces lois obscures, qui peuvent bien passer la portée de la science, mais qui n’en sont pas pour cela moins certaines. Tout symbole est en ce sens une espèce de révélation.