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dressera sur la rive gauche, tout du long du fleuve, une banquette continue qu’on assure devoir être fort utile à la défense du pays en cas d’investissement de Paris par une armée ennemie.

Cette éventualité d’une guerre malheureuse est bien souvent invoquée, et un trop grand nombre de chemins de fer ont dû à l’épithète de stratégiques des subventions et des garanties d’intérêt qu’on ne pouvait justifier par des considérations économiques. C’est un argument poignant et douloureux dont il conviendrait de n’user qu’avec discrétion et qui n’est guère de mise pour dissimuler l’embarras où l’on est de trouver un lieu de décharge pour tous ces matériaux.

Cette banquette, en outre, qui aurait forcément plusieurs mètres de haut, c’est la dépréciation de toutes les propriétés qu’elle viendrait séparer de la Seine, leur bouchant la vue, détruisant tout l’agrément de ces lieux renommés par leur pittoresque. Il y a là, pour les riverains, un dommage qui ne serait compensé qu’insuffisamment par une indemnité pécuniaire, quelque élevée qu’elle soit.

Il y a autre chose encore. Entre Vernon et Méricourt, sur 30 kilomètres, entre Meulan et Poissy, sur 17 kilomètres, les 6m,20 prévus au projet pour la profondeur du canal doivent être entièrement creusés en contre-bas du fond du lit actuel de la Seine. Il en résultera qu’en temps de basses eaux et précisément pendant une partie de la saison chaude, toute l’eau du fleuve se trouvera concentrée dans cette étroite cuvette de 70 mètres de large à la partie supérieure, laissant à découvert le reste du lit sur une largeur de 150 à 200 mètres. Cet abaissement du niveau provoquera certainement l’assèchement des terres riveraines, tarira leurs puits et leurs sources.

En outre, cette vaste surface alternativement couverte et découverte, suivant les variations du débit, deviendrait aussitôt un marécage à l’aspect désolé et d’autant plus pestilentiel que les eaux y déposeraient une partie des déjections et des immondices dont Paris et les communes voisines continuent imperturbablement de confier l’enlèvement au grand fleuve. Il y a là un juste sujet d’inquiétude. A une époque où l’hygiène commence à prendre dans les préoccupations de tout le monde la place qu’elle devrait y tenir depuis longtemps, il conviendra sans doute d’obtenir à cet égard, avant d’aller plus loin, l’adoption de dispositions efficacement préservatrices de la santé publique.


VI

Quelque valeur qu’on puisse attacher aux objections que soulève la partie technique du projet de Paris port de mer, aucune, on le