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Tel est l’essentiel du projet, envisagé sous son côté technique. Disons tout de suite quelques mots des objections qu’il soulève.


V

Les navires à vapeur de 6 mètres de tirant d’eau ont de 11 à 13 mètres de large, de 80 à 100 mètres de long. C’est un échantillon usuel dans le grand cabotage européen et la navigation de la côte d’Afrique. En revanche, dans la navigation transatlantique et des mers de l’Inde et de Chine, les tirans d’eau de 6m,50 à 7m,50 se rencontrent fréquemment. On les trouve davantage encore, et avec eux celui de 8 mètres, dans le trafic de l’Australasie. Les voiliers dont le tirant d’eau dépasse 6 mètres sont relativement rares.

On voit par là que la clientèle du canal pourrait être assez nombreuse. Encore faut-il qu’en dehors des motifs d’ordre commercial qui peuvent l’attirer, — et dont nous parlerons tout à l’heure, — cette clientèle trouve dans les conditions de navigabilité du canal une certaine facilité et une suffisante sécurité. Or, dans un semblable canal, dont il occupera près du tiers, tout au moins le quart de la section, le navire de mer est astreint à en suivre rigoureusement l’axe ou une direction très voisine. Il faut, en effet, que l’eau qu’il déplace puisse revenir en arrière en glissant sous sa quille et le long de ses flancs, en exerçant sur ses œuvres immergées des pressions qui s’équilibrent et s’annulent. S’il s’écarte de cette direction obligatoire, les pressions deviennent inégales ; l’avant est sollicité dans un sens, l’arrière dans un autre, et le navire prend cette allure désordonnée qu’on appelle une embardée. Son avant se porte à droite, revient à gauche et ainsi de suite, à plusieurs reprises, très rapidement, jusqu’à ce que, venant à toucher la berge, il s’y appuie et y pénètre même, si la consistance du terrain le permet. Si le navire a le courant de bout, il se colle tout entier contre cette même berge, s’élevant quelquefois de plusieurs pieds sur la pente du talus. Si, au contraire, il a le courant dans le même sens que lui, il pivote autour de son avant, comme une porte autour de ses gonds ; son arrière se porte sur la berge opposée ; les ailes de l’hélice s’y brisent quelquefois, le gouvernail peut s’y fausser, et, en tout cas, la route est barrée. Le moyen de sortir de cet embarras consiste à alléger le navire, en déchargeant une partie de sa cargaison dans des chalands qu’il faut demander à la station la plus voisine. C’est une opération longue, coûteuse et qui, par surcroît, arrête la circulation des autres navires. Heureux