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Jusqu’en 1846, cette partie du fleuve resta dans les conditions les plus défectueuses. Abandonné à lui-même, le chenal était sinueux, irrégulier en largeur comme en profondeur. En basses eaux, il n’avait, en certains points, que 0m,60. Dans les passages rétrécis, il fallait de 30 à 40 chevaux pour le halage d’un bateau ne portant que 80 à 90 tonnes. On mettait quinze jours au moins, quelquefois vingt-huit pour atteindre Paris, et le fret n’était pas moindre que 30 francs par 1,000 kilogrammes.

Tout le monde sentait qu’il y avait une sorte de devoir social à tirer un meilleur parti de cette grande voie naturelle, qui pendant si longtemps avait été, pour ainsi dire, le seul moyen expéditif de communication de la capitale de la France avec le reste du monde. — Mais quoi ? — L’énormité de la dépense, les difficultés presque insurmontables de l’exécution d’un canal latéral, creusé dans la vallée parallèlement à la direction générale du fleuve, avaient à bon droit découragé toutes les entreprises.

La solution rationnelle et économique entrevue dès 1824 par Frimot consistait à transformer la rivière elle-même en un canal. Il fallait pour cela la partager en sections isolées l’une de l’autre, au moyen de barrages, qui eussent retenu une couche d’eau d’une profondeur convenable. De l’une à l’autre de ces sections ou biefs, le passage eût été assuré au moyen d’écluses. — Mais on ne connaissait alors que les barrages fixes, sorte de gros murs en maçonnerie d’une hauteur invariable. Régler la hauteur de ce mur de façon à assurer en basses eaux la profondeur nécessaire à la navigation, c’était à la moindre crue provoquer à coup sûr l’inondation des terres riveraines, et quelquefois dans un périmètre extrêmement étendu. Si, en revanche, on se préoccupait d’éviter un semblable danger, on était conduit à réduire la hauteur du barrage d’une façon telle que la plupart du temps la profondeur qu’il pouvait maintenir dans le lit du fleuve était insuffisante. — On en était là, et la substitution du canal latéral au fleuve lui-même, quand elle était possible, devenait une sorte d’axiome d’une application générale, lorsque l’ingénieur Poirée inventa en 1834 le barrage mobile à fermettes et à aiguilles. Constitué d’élémens mobiles et maniables qu’on pouvait faire disparaître aisément, en totalité ou en partie, à l’approche d’une crue, et remettre ensuite en place, cet ingénieux appareil donna la solution d’un problème regardé jusque-là comme insoluble.

Perfectionné, agrandi, varié dans ses dispositions et ses formes par les successeurs de Poirée, le barrage mobile a été l’élément essentiel de toutes les améliorations réalisées depuis lors, aussi bien sur la Seine que sur tous les autres cours d’eau. On put ainsi