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L’état de la Seine, à cette époque, n’était pas d’ailleurs de nature à les encourager.


II

De Rouen à la mer, il y a 120 kilomètres. C’est la partie maritime du fleuve, celle dans laquelle la marée fait sentir son action. Sur la moitié inférieure, le lit présentait une forme évasée, large de 1,000 mètres à La Mailleraye, et de 10,000 mètres à l’embouchure. Des bancs de sable mobiles l’encombraient, continuellement remaniés et déplacés par le jeu alternatif de la marée, ne laissant à la navigation qu’une route sinueuse et toujours incertaine. Tout aussi variable et insuffisante était la profondeur. Dans les grandes marées, on trouvait à peine 4m, 30 d’eau à Quillebeuf, et 1m, 75 aux pleines mers de morte eau. Entre cette ville et Rouen, quatre bancs de roche exhaussaient le fond, et enfin, le mascaret dans toute sa violence intervenait encore pour rendre souvent inévitables les nombreux périls d’une route trop jalonnée d’épaves. Aussi ne voyait-on alors arriver à Rouen que de petits bateaux de 100 à 200 tonnes, dans le genre du Saumon, dont nous parlions tout à l’heure, et le port était-il sans aucune importance.

La construction des digues longitudinales, dont l’idée première paraît appartenir à Frimot qui l’exposa en 1827, et les travaux de dragage sur les hauts fonds ont complètement modifié cette situation.

Entreprise en 1846 et continuée jusqu’en 1876, avec les intermittences et les variations d’activité de toutes les œuvres dont les ressources sont inscrites au budget, l’amélioration de la Seine maritime a coûté 25 millions de francs[1]. Elle a donné des résultats supérieurs à toutes les espérances. Les digues longitudinales ont concentré les eaux dans le chenal et accru ainsi leur action sur le fond, qui s’est progressivement creusé. Mieux dirigés, les courans ont exercé leur influence au-delà même des digues, dans la partie de l’embouchure, longue de 17 kilomètres, qui va d’Honfleur à la mer. Sans doute, le chenal peut encore s’y déplacer. Mais ses oscillations d’un bord à l’autre, au lieu de s’effectuer brusquement, comme autrefois, dans l’espace de quelques marées, sont devenues très lentes, et peuvent être suivies et observées par le

  1. En regard de ce chiffre, il n’est pas hors de propos de mettre les 8,365 hectares de riches prairies, — dites prés-salés, — créés sur les laisses isolées par les digues, et dont la valeur foncière est estimée 34 millions de francs.