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institution « belle et généreuse entre toutes. » Même avant de rien savoir de ce que pensaient ou résoudraient ses confrères, il avait écrit à l’un d’eux pour lui exprimer et le charger de communiquer à l’Académie ses sentimens personnels « d’indignation et de douleur. » Un peu plus tard, il refusait, par une lettre fièrement laconique, le poste élevé que le ministre avait cru devoir lui offrir dans la nouvelle organisation de l’école. Enfin, malgré une extrême fatigue physique, présage de la maladie qui allait bientôt l’emporter, il retrouvait, par un prodige de volonté, assez de forces pour rédiger, en réponse au Rapport du surintendant des Beaux-Arts, un mémoire dont le texte d’ailleurs n’a été pubhé qu’après lui[1], et qu’il cessa d’écrire dès qu’il eut appris qu’une protestation signée du nom de son maître avait devancé la sienne. « Je ne continuerai pas mon travail, dit-il dans une de ses lettres, parce que, M. Ingres ayant parlé, il semblerait outrecuidant d’ajouter quelque chose aux paroles de celui dont l’autorité devrait être décisive. » Quelques semaines s’étaient écoulées à peine depuis le jour où il avait écrit cette lettre, et déjà Hippolyte Flandrin n’existait plus. Il mourut à Rome le 21 mars 1864, et, le mois suivant, l’église de Saint-Germain-des-Prés, à Paris, dont les murs naguère embellis par lui attendaient de son pinceau de nouveaux chefs-d’œuvre, cette église où il devait, à cette époque même, rentrer pour se remettre au travail, ne s’ouvrait que pour recevoir son cercueil.

La mort de Flandrin faisait perdre à la France le peintre de sujets religieux le plus hautement inspiré qu’elle eût vu naître depuis Le Sueur, à l’Académie un de ses membres les plus chers, à M. Ingres celui de ses élèves qui représentait avec le plus d’éclat ses traditions et son école : école assez féconde d’ailleurs pour avoir, en moins de douze années, fourni trois des siens à l’Académie[2], sans compter six autres académiciens qui, pensionnaires à la villa Médicis au temps où Ingres en était le directeur, avaient achevé de se former sous l’influence du maître et qui s’honoraient de la subir encore, même depuis qu’ils étaient devenus les confrères de leur ancien chef. Quant à lui, doyen de la Compagnie par son âge comme par la date de son élection, illustre entre tous par ses œuvres, respecté de ceux qui l’approchaient avec autant de passion, pourrait-on dire, qu’il en mettait lui-même à défendre en toute occasion ses idées et sa foi, — il devait, pendant plus de deux ans encore, survivre à l’élève auquel, ainsi qu’on l’a fait

  1. Lettres et Pensées d’Hippolyte Flandrin, p. 488 et suiv.
  2. Le sculpteur Simart, élu en 1852, Flandrin en 1853, et Lehmann au commencement de 1864.