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conséquences ni pour l’Académie où le brillant peintre se laissait aller parfois à des accès de susceptibilité ou à des fantaisies de parole peu propres à lui assurer une sérieuse influence sur ses confrères, ni dans le monde où il s’était toujours contenté des succès assez superficiels que lui procurait l’enjouement de son esprit. Néanmoins, les caractères et les mérites bien particuliers de ses œuvres, la faveur dont il avait joui auprès des personnages les plus puissans de tous les régimes et de tous les pays, aussi bien qu’auprès des hommes appartenant aux partis les plus opposés, — la singulière fortune qu’il avait eue, lui le troisième peintre de sa famille, non-seulement de soutenir, mais d’accroître l’honneur d’un nom consacré déjà par d’éclatans succès, — enfin la prodigieuse fécondité d’un pinceau dont la gravure, la lithographie, la vulgaire imagerie même, multipliaient à l’infini les productions, — tout avait concouru à donner de bonne heure à Horace Vernet et à lui conserver jusqu’au dernier jour une célébrité universelle. L’Académie des beaux-arts aura compté parmi ses membres des artistes plus savans au fond, plus hautement inspirés que lui : elle n’en aura pas eu de plus populaires.

Eugène Delacroix, dont la mort suivit celle d’Horace Vernet, à six mois seulement d’intervalle (13 août 1863), laissait à l’Académie et au public des souvenirs tout autres. Longtemps et bruyamment discuté, tardivement élu académicien, par suite de la méprise où plusieurs étaient tombés en croyant que son admission dans la compagnie aurait inévitablement pour effet d’y introduire l’esprit de désordre et d’aventure, Delacroix, beaucoup moins heureux ù tous égards que Vernet, avait dû, depuis ses débuts, lutter sans relâche contre les résistances que son talent rencontrait chez les uns, contre les enthousiasmes à faux ou les dangereuses excitations des autres. Ici, l’on semblait prendre à tâche de le louer de ses défauts autant et souvent plus que de ses qualités ; là, on refusait inexorablement d’apprécier à leur valeur ces qualités, si incontestables qu’elles fussent ; partout, — quoique avec des arrière-pensées bien différentes, — on affectait de le regarder comme l’instigateur et le chef volontaire de la guerre déclarée aux traditions, même les plus nécessaires, de notre école.

A aucune époque, pourtant, Delacroix n’avait accepté, encore moins pris spontanément un rôle qui eût répugné à son caractère aussi bien qu’aux inclinations de son esprit, trop fin, d’ailleurs, pour être dupe des hommages ou des dévoûmens intéressés. On en trouverait la preuve, entre beaucoup d’autres que fournit sa correspondance, dans ces lignes tirées d’un cahier de notes dont nous avons eu déjà l’occasion de parler : « La plupart de ceux qui