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étrangers. Parmi ceux qui disparaissaient ainsi, quelques-uns, comme Fontaine, l’utile et fidèle collaborateur de Percier, ou comme Debret, l’architecte de l’ancien Opéra, avaient appartenu à une époque et à une école dont ils personnifiaient encore avec honneur les traditions jusque vers la seconde moitié de notre siècle ; d’autres, comme Hersent, le peintre ingénieux de Ruth et Booz, de Daphnis et Chloé et de l’Abdication de Gustave Wasa, avaient représenté dans l’Académie des doctrines intermédiaires entre les théories du « classicisme » intraitable professé par les prétendus continuateurs de David et les témérités du programme qu’affichaient leurs adversaires ; d’autres, enfin, tels que David d’Angers et Pradier, s’étaient plus ouvertement déclarés dans le sens des réformes entreprises à côté d’eux. Ils s’y étaient même associés en fait, chacun à sa manière, par une étude plus pénétrante, par une interprétation plus large des exemples antiques, aussi bien que par une franchise plus courageuse dans l’imitation de la nature. Les œuvres sorties de leurs mains avaient puissamment contribué au renouvellement du goût public et acquis à ceux qui les avaient faites une renommée personnelle assez solide pour que la mort même ne la compromît pas. Néanmoins, de quelque juste crédit qu’eussent joui les académiciens dont nous avons cité les noms, la perte d’aucun d’eux ne devait avoir, dans le sein de l’Académie même des conséquences aussi graves, ni, au dehors, autant de retentissement que les pertes survenues presque coup sur coup de trois des membres de la section de peinture : Paul Delaroche, Horace Vernet et Eugène Delacroix.

Celui de ces trois peintres diversement célèbres que la mort frappait le premier, Paul Delaroche, était entré relativement jeune à l’Académie, en 1832[1]. Il eût paru assez naturel que ce fût avec l’appui préalable de Gros, son maître, et pourtant cet appui lui avait manqué, tandis que Ingres s’était tout d’abord passionnément déclaré en faveur d’un artiste qui, « mieux qu’aucun autre, écrivait-il un jour, l’aiderait à repousser l’invasion des Barbares, » autrement dit des romantiques. Depuis le jour de son élection jusqu’au jour de sa mort (4 novembre 1856), par conséquent pendant vingt-quatre ans, Paul Delaroche avait exercé à l’Académie une influence considérable : influence qu’expliquent de reste, outre son talent, la dignité de son caractère et la singulière souplesse d’un esprit capable de se mouvoir dans le domaine des affaires proprement dites avec la même aisance que dans le champ de l’art. On

  1. Né le 17 juillet 1797, Paul Delaroche n’était âgé que de trente-cinq ans lorsqu’il fut élu en remplacement de Meynier.