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Quoi de plus naturel, au surplus ? L’Académie des Beaux-Arts n’est ni un parti, ni une école dans le sens limité du mot, encore moins un groupe de talens en rivalité ou en lutte. Arrivés à la plus haute situation que des artistes puissent ambitionner, les membres de l’Académie empruntent de leur élévation même un calme, une modération dans le jugement des opinions ou des choses qu’on ne rencontrerait pas aussi sûrement chez ceux que préoccupent encore les progrès de leur propre réputation et l’incertitude du succès. Confrères, par l’esprit qui les anime autant que par l’égalité du rang, ils s’accordent dans le désintéressement personnel, comme ils ont en commun le dévoûment aux plus sérieux intérêts de l’art et le sentiment profond de sa dignité. De là, malgré la diversité de leurs origines et de leurs titres, l’ensemble avec lequel ils concourent au maintien des mêmes traditions, à la défense des mêmes principes ; de là, la conformité de leurs vues dans l’appréciation des faits particuliers, aussi bien que dans le domaine des idées générales ; de là enfin ce Dictionnaire que d’autres esprits n’auraient pu composer ainsi, ni d’autres mains écrire, parce que, outre le fonds d’expérience spéciale qu’exigeait une pareille tâche, il fallait ici une indépendance critique à peu près incompatible avec la condition ordinaire des artistes militans, et, dans l’exécution, un genre d’habileté en dehors, jusqu’à un certain point, des habitudes propres aux écrivains de profession.

La continuation du grand travail commencé sous l’impulsion d’Halévy était donc devenue, dans l’espace de temps compris entre les années 1858 et 1863, une des occupations principales de l’Académie. Bien plus : le moment approchait où cette occupation allait être presque la seule qu’il lui fût permis de poursuivre officiellement, lorsque, dépossédée du jour au lendemain des prérogatives qu’elle tenait de sa constitution même, l’Académie se verrait, jusqu’à la fin du second empire, condamnée à rester étrangère à tout ce qui concernait les concours pour les grands prix et les travaux des pensionnaires de l’Académie de France, à Rome. Nous dirons tout à l’heure par quel brusque caprice du pouvoir, sinon par quelles intrigues nouées autour de lui, cette injuste dépossession s’accomplit ; mais avant de rappeler les faits qui s’y rattachent, il convient d’indiquer sommairement les changemens survenus dans le personnel académique, depuis que la monarchie de Juillet avait été remplacée par la seconde république et celle-ci, à son tour, par le gouvernement impérial.

Dans cette période de seize années écoulées entre la fin du règne de Louis-Philippe et le milieu à peu près du règne de Napoléon III, la mort avait successivement frappé trente-deux membres de la compagnie, sans compter six membres associés