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« vainqueurs des Tuileries, » après en avoir mis les appartemens à sac, se précipita, ivre et armée, par la porte de communication qui s’ouvrait au fond de la grande galerie. Grâce à la présence d’esprit de quelques fonctionnaires du musée qui firent mine de se fier au bon sens des envahisseurs pour qu’ils les aidassent eux-mêmes à sauvegarder des richesses « appartenant à la nation, » — comme le rappelaient des inscriptions à la craie tracées en hâte sur le parquet, — grâce aussi au soin que l’on prit, tant que dura le séjour au Louvre de ces étranges conservateurs, de leur distribuer avec une réserve prudente les rafraîchissemens fournis par la cave de l’économe de la maison, le danger, si menaçant qu’il eût paru d’abord, fut écarté. Sauf quelques égratignures qui endommagèrent un petit tableau de l’école allemande, tout se borna, de la part des tristes hôtes dont il avait bien fallu subir la présence, à l’échange sans façon par quelques-uns d’entre eux de leurs casquettes sales contre les casquettes galonnées des gardiens et à des promenades à tour de rôle dans le fauteuil roulant qui avait servi à Madame Adélaïde pour ses visites au musée.

Il serait hors de propos d’insister ici sur les détails, moitié sinistres, moitié grotesques, relatifs à l’invasion et à l’occupation du Louvre dans ces heures néfastes. Ils ont été d’ailleurs rapportés avec autant de précision que de verve par un témoin des faits, bien en mesure d’en faire ressortir l’odieux ou le ridicule[1]. Nous nous contenterons de dire que, dès les premiers jours, le directeur général des musées, M. de Cailleux, membre de l’Académie, se voyait contraint de céder la place au successeur que lui donnaient la révolution triomphante et le bon plaisir du « citoyen-ministre » Ledru-Rollin, pressé de pourvoir un de ses anciens camarades. Ce successeur était un peintre, de second ordre tout au plus, mais un républicain militant depuis sa jeunesse et, comme tel, mêlé de fort près sous le gouvernement de Juillet aux menées des sociétés secrètes et aux émeutes. Pourtant, quelque injustifiable qu’ait pu être, au point de vue des droits acquis et des titres, le choix qu’on avait fait de lui, M. Jeanron, pendant les deux années qu’il passa au Louvre, ne laissa pas d’y rendre quelques services, celui entre autres de débarrasser les galeries du musée des expositions annuelles, et par là d’assurer au public le spectacle sans éclipse, aux artistes l’étude sans interruption des chefs-d’œuvre de l’art ancien.

En attendant, qu’allait-on faire des préparatifs entamés pour le

  1. M. de Chennevières, alors attaché à l’administration des musées, aujourd’hui membre de l’Académie des Beaux-Arts, dans un des curieux et piquans articles publiés par lui, de 1883 à 1889, dans l’Artiste, sous ce titre : Souvenirs d’un directeur des Beaux-Arts.