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n’y a, en effet, pas autre chose, au fond de ce qu’on est convenu d’appeler la « crise agricole, » qu’une crise de fermage ; chaque hectare français rapporte à son maître une somme de 50 francs en moyenne par an. Cette rente moyenne, rien ne la doit garantir au détenteur du sol rural, pas plus que rien ne peut maintenir à l’ouvrier le salaire moyen qu’il touche aujourd’hui, ou au possesseur de maison urbaine le loyer moyen qu’il a touché depuis vingt ans. Le propriétaire foncier, habitué depuis des siècles à voir son revenu croître perpétuellement, en est arrivé à se figurer que cet accroissement est une loi de nature, qu’il n’est pas plus possible à sa terre de ne pas augmenter qu’il ne le serait à un homme de ne pas vieillir.

Cette tradition résulte d’un état de choses que le progrès de ce temps a précisément pour but de détruire. On fera, au cours du XXe siècle, concurrence à la vieille terre française avec la terre de tous les pays, comme on a fait, au XVIe siècle, concurrence au vieil or français avec l’or tout neuf du Nouveau-Monde. Les propriétaires mobiliers ont souffert jadis, beaucoup ont disparu et sont retombés dans les rangs du prolétariat ; les propriétaires fonciers souffriront aussi, les petits devront cultiver eux-mêmes, peut-être, mais le travail national n’y perdra rien. Lors même que la baisse entraînerait, par suite de la réduction de revenu d’un certain nombre de propriétaires, une diminution du prix de toutes choses, sans excepter les salaires, le résultat n’en serait pas moins favorable pour l’ouvrier français. C’est une condition très importante de succès pour une industrie, sur le marché international, — et nous exportons chaque année pour 1,700 millions de produits manufacturés, — que le bon marché de l’existence.

Chacune des deux parties en présence, socialistes ouvriers, propriétaires socialistes, cherche, en résumé, le remède où il ne peut, où il ne doit pas être. Les ouvriers veulent qu’on améliore leur condition en augmentant leurs recettes ; elle doit d’abord s’améliorer par la diminution de leurs dépenses, c’est-à-dire par une transformation du commerce de détail. On se plaint, à juste titre, que l’ouvrier n’éprouve pas les effets bienfaisans de la baisse de certaines marchandises, qu’entre le producteur et le consommateur se place un trop grand nombre d’intermédiaires, véritables parasites ; que le prix de la viande n’ait pas diminué, il y a trois ou quatre ans, à proportion de celui des bestiaux, ni le prix des grains, en 1880, à proportion de celui du blé. Ce mal n’est ni récent, ni particulier à notre pays. Il était bien plus aigu sous l’ancien régime, où l’échelle du gros et du demi-gros, jusqu’aux détaillans-regrattiers, s’allongeait exagérément. A l’étranger, on se plaint,