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Dans des conditions pareilles, la protection douanière, presque exclusivement industrielle, peut être une mesure plus ou moins intelligente, — jusqu’à présent, ceux qui l’ont inaugurée au-delà de l’Atlantique n’en ont pas recueilli de fameux fruits. elle a, dans certains centres, amené une surproduction insensée et créé plus de faillites que de richesses ; — mais, en tout cas, elle n’influe pas sur le prix des objets de première nécessité. Que les pianos, les gants, les robes de soie, les tableaux et les locomotives renchérissent, cela n’atteint pas directement le prolétaire yankee, qui continue à recevoir deux ou trois fois plus que celui d’Europe (10 ou 15 francs par jour) et qui ne dépense pas plus pour sa nourriture qu’un Français. L’argent de l’homme riche ou aisé de là-bas a moins de valeur que l’argent du personnage correspondant sur le vieux continent ; mais l’argent de l’ouvrier vaut tout autant, et cet ouvrier a des ressources deux fois plus fortes. Il n’y a donc aucune conclusion à tirer du bill Mac-Kinley à notre tarif général.

Ce bill Mac-Kinley lui-même n’est pas assuré d’une très grande longévité, et il a, d’ailleurs, été un peu exagéré en Europe. On sait que le tarif douanier de la république américaine, au lieu de frapper les marchandises selon leur poids ou leur quantité, comme le nôtre, contient un très grand nombre de droits ad valorem ; ces droits étaient excessifs… sur le papier, mais on s’en rapportait aux déclarations des importateurs, et ces importateurs étaient dans l’usage de dissimuler la moitié, les trois quarts de la valeur réelle. Ils allégeaient d’autant la taxe par ce moyen. Les soies, par exemple, sont assujetties depuis longtemps à un droit de 50 pour 100 de la valeur ; les Américains qui les introduisaient s’arrangeaient communément pour ne déclarer que 12 à 15 pour 100. Le bill Mac-Kinley, par les pénalités compliquées qu’il édicte, prétend armer l’administration contre cette tolérance de fait. Y réussira-t-il ? L’avenir nous l’apprendra. En tout cas, il ne surhaussera pas les denrées, au contraire, il peut les faire baisser encore en paralysant l’exportation ; c’est pour cela que l’agriculture américaine réclame contre la protection pendant que l’agriculture française proteste contre le libre échange.

Pourquoi, d’ailleurs, prendre prétexte des relèvemens de tarifs faits par certaines nations étrangères, puisque nous sommes déterminés à ne plus faire de traités de commerce, que nous ne voulons plus permettre à aucune de ces nations de nous apporter ses produits naturels, lors même qu’elle nous achèterait en retour un chiffre plus considérable encore de nos produits manufacturés. Effectivement, les droits les plus forts que contient notre tarif général projeté s’appliquent à des marchandises qui nous sont