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propose, par le prochain tarif de douanes, de lui en adjoindre un grand nombre d’autres, tous aussi lourds, sur la viande de bœuf, dont la taxe serait accrue de 800 pour 100 (28 francs au lieu de 3 francs), sur les autres viandes, fraîches ou salées, dont le tarif serait haussé de 200 à 600 pour 100 ; sur les graisses alimentaires (droit triplé), les fromages, les fruits et légumes, les boissons (le droit sur les vins est sextuplé), sur les huiles minérales et les bougies (droit doublé), sur les bois bruts et travaillés (sur ces derniers, le droit, qui est actuellement de 0 fr. 50, serait porté à 20 francs les 100 kilogrammes) ; en un mot, sur tous les produits naturels du sol. En effet, le caractère du nouveau protectionnisme est d’être essentiellement agricole et non industriel comme jadis ; il a pour but de favoriser, non le travail national, mais la propriété foncière ; non de permettre à des industries naissantes de prospérer ou à des industries chancelantes de se relever, mais bien d’empêcher le revenu, et par suite la valeur vénale de la terre, de subir une baisse préjudiciable à ses détenteurs.

Et je ne parle ici que du projet de tarif général déposé par le gouvernement, projet dont les vrais défenseurs de la fortune terrienne ne se déclarent nullement satisfaits, mais qu’ils entendent forcer et exagérer encore. Les oreilles tinteraient aux gens de sens rassis, s’ils soupçonnaient tout ce qui se débite de folies là-dessus dans les couloirs et les commissions des chambres. Dans les provinces, c’est pis encore ; les doléances locales s’exhalent, par la bouche de représentans plus ou moins sincères, avec une férocité naïve. La pétition d’un honnête syndicat de l’Ouest, que j’ai sous les yeux, demande, non pas un droit élevé sur la margarine, mais la prohibition pure et simple de cette marchandise, dont il considère l’importation comme faisant baisser le prix des beurres. Toutefois, le département où fonctionne ce syndicat exportant à l’étranger pour 30 ou 40 millions de beurres par an, la pétition ajoute que « le gouvernement doit être invité à prendre les mesures nécessaires pour sauvegarder et développer l’exportation des beurres français. » On se promènerait en long et en large à travers le territoire de la république, que l’on rencontrerait partout cette candide inconséquence.

Ce sont parfois des corps autorisés qui se font les intermédiaires de vœux aussi contradictoires : à peu de mois d’intervalle, la chambre de commerce du Havre a patronné avec chaleur deux adresses au ministère, — ce n’étaient pas les mêmes signatures, mais c’était la même chambre de commerce. — La première se plaignait de ce que beaucoup de navires désertaient Le Havre pour Anvers, où les marchandises étaient attirées par des tarifs