Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/592

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

denrées ; seulement partout l’estomac des pauvres gens doit se proportionner aux salaires réels, c’est-à-dire à la quantité de grammes de pain, de graisse, de légumes, et, pour les ouvriers aisés, au nombre de livres de viande, de litres de vin, ou même de douzaine d’huîtres que représentent ces salaires évalués en argent.

On s’en rend bien compte en comparant entre eux les budgets ouvriers : dans chacun de ces budgets, le quantum attribué à la nourriture, en moyenne 50 pour 100 de la dépense totale, descend, pour les ménages les plus fortunés, jusqu’à 35 pour 100, et s’élève jusqu’à 70 pour 100 chez les prolétaires les plus misérables. Ce que la nourriture n’absorbe pas profite aux autres chapitres. Il n’est pas inutile d’ajouter que cette alimentation, qui varie, selon les bourses, de 35 à 70 pour 100, est bien meilleure chez ceux qui n’emploient qu’un tiers de leur revenu à se nourrir, que chez ceux qui doivent y consacrer plus des deux tiers. Les premiers mangent de tout autres choses que les seconds.

Le pain, qui arrive à représenter, dans un intérieur nécessiteux, 60 pour 100 de la dépense annuelle, et peut-être 90 pour 100 de la nourriture, ne coûtera, en moyenne, que 40 pour 100 de l’ensemble des vivres, et que 20 pour 100 de l’avoir total. Il descendra, chez les aristocrates de la classe ouvrière : chez les bijoutiers, les mécaniciens, les tailleurs, les ébénistes, au cinquième de la nourriture, au dixième de la dépense générale. Entre-t-on dans la bourgeoisie, s’élève-t-on dans la sphère des privilégiés de la fortune, on voit, à chaque échelon que l’on monte, la nourriture prendre de moins en moins de place dans le budget, et le pain diminuer de plus en plus d’importance dans le chiffre de la nourriture. Pour une famille jouissant de 50,000 francs de rentes, et composée de trois maîtres et de six domestiques, soit neuf bouches adultes, le pain ne sera que de 1 pour 100, peut-être un 1/2 pour 100 du revenu, et de 5 pour 100 de la nourriture ; et la nourriture tout entière, quelque abondante et variée qu’elle puisse être ici, ne formera sans doute, en province, que 10 pour 100, à Paris, que 15 pour 100 du budget total. L’impôt sur le pain est donc bien, comme on l’a dit, l’impôt sur le pauvre, et il est en outre progressif à rebours. Plus le pauvre s’appauvrit, plus l’impôt, pour lui, augmente d’importance à mesure que le pain prend dans son alimentation la place des autres denrées.


VIII

C’est cependant cet impôt, qui majore d’un quart le prix du blé, que l’agitation protectionniste a fait établir le premier. Elle se